Mémoires politiques
de François Mauriac

critiqué par Jlc, le 20 février 2009
( - 81 ans)


La note:  étoiles
L'avant bloc-notes
François Mauriac publie en 1967 un recueil choisi de 193 articles écrits entre 1933 et 1954 qu’il juge les plus politiquement significatifs.
La règle du jeu : ne rien réécrire, ne rien enlever.
La thèse : démontrer la cohérence de son parcours de funambule entre une droite socialement très conservatrice et une gauche anticlérical.
La démarche : « écrire en tant que catholique et parce que catholique ». Etre libre d’écrire ce qu’il pense c'est-à-dire en « provocateur rebelle ». « Je viens de la droite, je suis de droite et c’est à droite aussi que je me suis fait le plus d’ennemis. »
L’objectif : mener un combat d’apostolat, vivre sa foi dans un monde tragique et, plus trivialement, arrondir ses fins de mois quand on a une famille à nourrir.

Si la règle du jeu est bien respectée, si Mauriac n’a pas retouché ses textes, il les a choisis en éliminant ceux de l’époque où il était bien à droite, ce qui altère quelque peu la thèse qu’il entend défendre. S’il fait remonter son engagement à sa rencontre en 1906 avec le mouvement du Sillon qui cherchait à réconcilier christianisme et valeurs démocratiques, il faut reconnaître qu’il s’en est vite éloigné jusqu’au milieu des années trente. Le parcours qu’il veut cohérent ne fut pas sans contradictions et ses oublis sont une forme de réécriture.
Ce sont l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini et l’imposture de la « croisade franquiste » qui vont conduire l’écrivain nouvellement académicien à mettre son prestige au service de l’antifascisme chrétien. Il prend des risques envers sa classe sociale qui ne va plus le reconnaître quand il se veut « le témoin de la vérité crucifiée », quand il se demande « dans le cœur de combien de pauvres [Franco] a-t-il tué Dieu ? », quand il fustige la non intervention des démocraties occidentales en Espagne et en Ethiopie qu’il assimile à une complicité.
Il est d’autres contradictions nées de positions initiales qu’il rejette par la suite comme son appui tardif à la décolonisation de l’Indochine.
Mais il est un point sur lequel il n’a jamais transigé : sa résistance à l’ennemi qui le conduira à ne rien publier pendant quatre ans. A la libération, au nom de la charité chrétienne, Mauriac défend une position équilibrée entre les extrémistes tant de droite que de gauche. Il se dit « tourmenté par les excès de l’épuration », il souhaite une certaine clémence pour Pétain, dont aux premières heures de la débâcle il fut « peut-être complice » avant de comprendre que « ce vieillard foudroyé » fut manipulé par une droite « collabo ». Mais en même temps il dénonce « ces rats qui réapparaissent », « cette espèce d’hommes déjà saturés d’argent [qui] cède à son instinct qui est de prendre et de prendre encore…parce qu’ils ont l’instinct de domination. » Sa position d’équilibriste à une époque manichéenne lui vaut l’incompréhension ou le brocard. Mais l’homme a de la défense et de la répartie. Le polémiste se délecte quand il contredit notamment Jean-Paul Sartre, ce qui ne l’empêchera pas d’écrire en 1952 un article superbe en réponse à un long texte que le philosophe a consacré aux « lassitudes de la classe ouvrière ».

Mais, et c’est là son gros défaut, la structure du livre composé de neuf chapitres, mi thématiques et mi chronologiques, n’aide pas à la compréhension d’une démarche qui fut courageuse et souvent solitaire. Cette confusion est accentuée par le trop grand nombre d’articles choisis alors que cette anthologie aurait été beaucoup plus percutante si elle avait été plus resserrée sur les points forts et plus éclectique. Faire un livre exclusivement consacré à la politique est certes un document sur une période cruciale de notre histoire mais mêler l’essentiel et l’accessoire en révèle le côté suranné.
Demeure bien sûr le plaisir de lire François Mauriac qui, même dans l’urgence du journalisme, reste un écrivain.