Journal / Mémoires politiques
de François Mauriac

critiqué par Jlc, le 16 février 2009
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Un « bouquin » nécessaire
François Mauriac est souvent présenté comme un médiocre poète, un bon dramaturge, un remarquable romancier et un très grand journaliste.
La collection Bouquins a eu la bonne idée de réunir en un seul volume le journal - « cette autobiographie qu’il n’a jamais écrite » faite de recueil d’articles de presse-, « Le bâillon dénoué »-ensemble de textes politiques publiés entre août 1944 et mars 45- et « Les mémoires politiques » dont on parlera une autre fois. Ce livre est tout à la fois un document passionnant sur l’époque cruciale d’après guerre et la preuve que Mauriac, quand il écrit pour la presse, continue à faire œuvre de littérature. Le travail d’édition de Jean-Luc Barré est tout à fait remarquable par l’annotation précise qui permet à un lecteur d’aujourd’hui de bien comprendre le sens et la portée de ces articles écrits entre 1932 et 1947, avec un « silence résistant » de quatre ans entre la débâcle de juin 40 et la libération. Ces écrits sont d’autant plus intéressants qu’ils ont été longtemps occultés par « Le bloc-notes » que Mauriac publia, essentiellement dans « L’express », de 1952 à 1970 et qui est un chef d’œuvre de journalisme.
Les travaux rassemblés dans Bouquins se composent de deux parties fort différentes dont la césure est bien sûr la guerre.
, Dans les années trente, François Mauriac définissait le journalisme comme « la transposition à l’usage du grand public des émotions et des pensées quotidiennes suscitées en nous par l’actualité. C’est le retentissement dans notre vie intérieure qui mesure l’importance des évènements ». Nobles propos et vaste ambition. L’auteur parle de ce qu’il aime : son cher Malagar « univers doué de mémoire …où il a vécu enfant, adolescent. Ici les arbres ne jugent pas, ils se souviennent », Malagar où il retourne tous les étés ; les écrivains qu’il admire de Racine à Claudel, de Pascal à Proust mais aussi « ce jeune furieux » Malraux ou Drieu La Rochelle « ce faible qui haïssait la faiblesse, la sienne et celle de son pays ». On côtoie des personnages plus surprenants chez ce janséniste moderne : l’auteur de « L’amant de Lady Chatterley », Violette Nozière « ce mystère du mal » ou Greta Garbo cette « biche relancée à travers l’Europe par la meute de journalistes » qui le fait rêver. Il dit aussi superbement son amour de la musique, lui qui se qualifie « d’illettré de la musique » pour reprendre le mot de Stravinsky. « La joie désespérée » de la neuvième de Beethoven dirigée par Toscanini, le charme du festival de Salzbourg, la redécouverte, à mi vie, « par besoin d’espérance » de Mozart, « cet écolier de Dieu » lui donnent à écrire, et pour nous à lire, des pages cristallines. Mais il parle aussi des moments noirs de cette époque : Roger Salengro, « pauvre gibier forcé », ministre de l’Intérieur du Front Populaire qu’une calomnie assassine conduisit au suicide, Hitler « proie de sa propre légende », les camps de concentration qu’il évoque en 1938. Il défend les prêtres basques qui restèrent fidèles à la république espagnole et annonce les orages et les tragédies.
Le ton et les sujets changent fondamentalement après la guerre. Finie la définition « émotive » du journalisme. Désormais, « écrire, c’est agir ». « Le bâillon dénoué » sera son premier livre strictement politique, d’ailleurs « peu lu ». Mauriac jouit en 44 d’un prestige immense et a colonne ouverte au Figaro, même s’il n’en définit pas la ligne éditoriale. Une fois passée l’éphémère exaltation de la libération, il se montre vite inquiet de voir la France ne pas saisir l’opportunité d’évoluer dans le sens du réformisme et d’un gouvernement fort. Il ne participe pas à l’idéalisation de la Révolution Française dont il rappelle les jours sombres de sang alors qu’un courant de la Résistance veut faire de l’épuration un moment de régénération morale. Et là Mauriac va être seul, s’opposant notamment à Albert Camus, journaliste intransigeant et scrupuleux qui exige la justice, fût-elle tragique, quand l’auteur des « Mains jointes » invoque la charité pour ceux qui ont trahi dont Pétain « vieillard tragique qu’il faut abandonner à Dieu ». Fort de son opposition fondamentale à la peine de mort, il ira jusqu’à demander la grâce, refusée par de Gaulle, pour Robert Brasillach, écrivain certes mais surtout antisémite ignoble. Ce débat entre Mauriac et Camus, l’un et l’autre journalistes de talent et hommes de très grande qualité, se fait avec beaucoup de dignité et de tenue et Camus reconnaîtra plus tard que Mauriac avait probablement raison. Mais avec d’autres, la polémique est d’une violence verbale inouïe dont la presse d’aujourd’hui serait incapable, les temps étant différents, je le reconnais. Mauriac remise sa chasuble de bon chrétien et ne se prive nullement de répondre, quand par exemple on le traite de « vieille corneille élégiaque », voire d’attaquer avec son brillant talent de polémiste. La hauteur de vue va de pair avec le coup de patte souvent cruel.
Curieux, chamailleur, anticonformiste, selon Daniel Rondeau, il a une totale liberté de ton et possède « cet art français de passer vite, de ne jamais appuyer ».
Ces textes ont globalement très bien vieilli car ce ne sont pas uniquement des articles de circonstance mais le travail d’un grand écrivain, « prédicateur solitaire » engagé dans les batailles intellectuelles et politiques de son temps. Visionnaire aussi quand, après ce qu’il ressent comme une insulte faite à la France de ne pas avoir été invitée à Yalta, il perçoit dès février 45 que son pays ne peut plus rien sans l’Europe.
Dans son journal, François Mauriac avait écrit : « Il manque à beaucoup de livres ce qui est l’essentiel : la nécessité ». Eh bien la réédition de ces textes était nécessaire.