La Diaspora des Desrosiers, tome 2 : La Traversée de la ville
de Michel Tremblay

critiqué par Dirlandaise, le 18 janvier 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Doux et tendre Michel Tremblay
Ce livre constitue le deuxième tome de la série « La Diaspora des Desrosiers » et fait donc suite à "La Traversée des continents". Un troisième tome est attendu pour bientôt : « La Traversée des sentiments ». Cette fois, Michel Tremblay nous relate l’enfance de Nana, un personnage clé des Belles-Sœurs. Bon, pour bien s’y retrouver, il faudrait avoir lu l’œuvre de Michel Tremblay dans l’ordre mais je n’ai pas su résister à l’attrait de la nouveauté alors je me suis plongée dans ce récit avec une grande confiance car Monsieur Tremblay peut-il nous offrir un mauvais livre ?

Donc, nous suivons la mère de Nana, Maria qui travaille dans une manufacture de coton à Providence en Nouvelle-Angleterre. Maria vit seule car son mari, exerçant le métier de marin, est disparu en mer. Les trois enfants de Maria habitent avec leurs grands-parents en Saskatchewan, une province de l’ouest du Canada. Elle a dû s’en séparer car elle ne pouvait assumer cette lourde charge avec le maigre salaire qu’elle gagne. Mais, un événement inattendu vient bouleverser la vie de Maria et lui fait prendre la folle décision de tout abandonner pour s’exiler à Montréal, retrouver son frère et ses deux sœurs et recommencer sa vie de zéro.

Michel Tremblay nous brosse ici un magnifique portrait du Montréal des années 1912. Je n’ai pu m’empêcher de penser à Zola et son livre « Le ventre de Paris » en lisant certaines descriptions particulièrement réussies du marché et de tous les fruits et légumes exotiques qu’on peut y trouver. Une bonne partie du livre nous entraîne dans une traversée de la ville en compagnie de Nana alors âgée de onze ans seulement dans un but bien précis qui se révélera bien trop ardu pour ses faibles moyens cependant. La petite fille courageuse effectuera un long périple au cours duquel de nombreuses aventures parsèmeront sa route. Ce qui est remarquable chez Michel Tremblay, c’est l’immense amour qu’il ressent pour ses personnages. Certains passages sont magnifiques de tendresse et de justesse psychologique dont celui où Nana se voit offrir par un marchand une tranche d’ananas frais qu’elle n’a jamais goûté auparavant et sa rencontre avec un pauvre petit chat perdu qui lui fait presque renoncer à son entreprise. Une petite fille seule qui traverse une grande ville animée et bruyante, une petite fille débrouillarde et volontaire qui affronte l’inconnu et ose se croire capable de sauver sa famille du péril de la guerre, voilà le cœur de ce livre touchant au possible et qui m’a émue.

Mais c’est aussi une histoire de grandes personnes, de femmes dont les belles illusions face aux hommes et à leurs promesses de bonheur les a menées parfois jusqu’au bout du monde pour ne leur laisser qu’amers regrets et honteux secrets enfouis au fond du cœur.

Un beau livre, une fresque douce et tendre, teintée d’amertume cependant et aussi de beaucoup de défaitisme mais si belle, si poétique, si touchante, si humaine… Merci Monsieur Tremblay, je vous aime !

« Ça explose aussitôt dans sa bouche, c’est à la fois sucré et suret, la surface de sa langue brûle et se contracte, ça pique et ça chatouille en même temps, ça chauffe, ça râpe, et pourtant c’est délicieux ! Et ça monte jusque dans son nez ! C’est moins sucré que ce qu’on trouve dans les boîtes de conserve et pourtant, c’est meilleur ! Elle fait une grimace ravie pendant que des larmes lui montent aux yeux. »

« J’ai été étourdie comme toutes les femmes par de belles promesses pis un beau physique. Trop beau pour moi, j’arais dû m’en aparcevoir. Trop fin, aussi. Trop doux. Mais l’amour ça se commande pas hein, pis chus tombée dedans la tête la première. Y était aussi grand que chus petite, y était fort comme un ours, pis en même temps tendre, comme un agneau, pis si ses promesses étaient pas originales elles non plus, y étaient assez précises pis assez tentantes pour que je m’accroche dedans pis que… pis que je succombe. »
La découverte de Montréal... 10 étoiles

Un an après la fin du voyage initiatique ("La traversée du continent" premier opus de la saga des Desrosiers), dans ce second tome, Nana est installée avec sa mère et son petit demi-frère dans la grande ville de Montréal. En un an, elle s'est attachée à ce frère pour qui elle est une seconde maman. Nous sommes en août 1914 et la guerre éclate en Europe. Paniquée à l'idée que la guerre puisse arriver, via l'Atlantique, jusqu'à Montréal et souffrant de l'absence de ses deux sœurs restées au Saskatchewan chez ses grands parents, Nana prend alors une grande décision qui l'amène à traverser seule Montréal (refaisant sans le savoir, en sens inverse, le chemin parcouru par sa mère deux ans plus tôt quand celle-ci débarquait à Montréal).
Au-delà de l'histoire poignante et des personnages attachants à la psychologie si justement décrite (en plus de l'héroïne, de sa mère et de son petit-frère, on découvre notamment les deux tantes de Nana), Michel Tremblay décrit avec une grande poésie Montréal, ville pour laquelle on ressent qu'il a un véritable amour.
Une excellente suite au premier tome de cette saga (qui en compte neuf).

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 22 novembre 2015


Arrivées à Montréal... 10 étoiles

Deuxième tome de la diaspora des Desrosiers, la Traversée de la ville, est inspirée du premier séjour de Rhéauna à Montréal, celle qui deviendra Nana, la maman de Michel Tremblay
«Je déteste la famille mais j'adore chacun de ses membres», explique Tremblay au sujet de cet amour-haine qui le lie à l'institution familiale, comme plusieurs d'entre nous d'ailleurs!
Alors que le premier tome nous introduisait dans le premier roman "canadien" de l'auteur, on revient à Montréal, théâtre principal de son oeuvre, et on trouve beaucoup de plaisir à découvrir cette fois-ci Montréal au tout début du XXe siècle, soit en 1912 et en 1914!
Nana y a retrouvé sa mère Maria ainsi que Théo, un tout nouveau petit frère et en parallèle, on y suit l'arrivée de Maria, deux ans auparavant, de Providence au Rhode Island...
Il est beaucoup question de langues et d'accents dans ce roman du déracinement, l'accent pointu que les milieux populaires empruntent parfois pour imiter celui de la bourgeoisie, mais aussi l'accent des Plaines que la jeune Rhéauna emporte avec elle à Montréal, au risque de faire rire d'elle et qu'elle vit comme un véritable traumatisme lorsqu'elle rejoint l'Académie Garneau de Montréal. Car la francophonie est le principal bagage de ces abonnés de la mouvance, qui le trimballent comme un héritage fragile à conserver et à transmettre.
Pour ces francophones, donc, qui sont partis chercher fortune ailleurs, l'aventure est un mode de vie. Une aventure animée par l'ambition, qui pousse à espérer une vie meilleure, un peu plus d'amour, un peu plus de richesse, quitte à être constamment déçu, avant de recommencer à rêver de nouveau!
Cette traversée de la ville en est vraiment une, et le lecteur a l'impression de marcher lui-même le long de la rue Sainte-Catherine, léchant les vitrines de Dupuis frères ou d'Ogilvy, dans la peau d'une petite fille habitée de contes de fées, et dans un Montréal souvent anglophone, parmi les tramways et les voitures à chevaux. Il partage avec Nana cette curiosité pour les quartiers juifs ou chinois, même si les parents prétendaient alors qu'on y empoisonnait les enfants à l'opium avant de les manger... Et on s'étonne de découvrir chez cet écrivain à l'oeuvre imposante cette fraîcheur éblouie qui semble regarder la ville comme au premier jour!

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 22 février 2010