Le dégoût
de Horacio Castellanos Moya

critiqué par Dirlandaise, le 6 janvier 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Prodigieux ! Hallucinant !
Edgardo Vega alias Thomas Bernhard est contraint de retourner au Salvador afin d’assister aux obsèques de sa mère. Il doit faire acte de présence car c’est la seule condition dictée par sa mère s’il veut toucher sa part d’héritage qui consiste en la maison de son enfance. Edgardo est professeur d’histoire de l’art à l’université McGill de Montréal et n’est pas retourné à San Salvador depuis dix-huit ans. Il exècre son pays natal qui ne lui inspire que du dégoût par son absence de culture et l’ignorance crasse de ses habitants. Au cours de son séjour, Edgardo réside chez son unique frère, un commerçant borné et stupide dont la seule activité culturelle est d’écouter la télévision et regarder les matchs de foot. Sa famille est du même acabit. Notre pauvre Edgardo est au supplice et finit par se louer une chambre à l’hôtel afin d’échapper à cette famille qu’il juge ignoble et monstrueuse. Tout le récit consiste en une rencontre d’Edgardo avec un ancien compagnon de lycée du nom de Moya… dans un bar salvadorien, rencontre qui dure de cinq à sept et au cours de laquelle Edgardo exprime à son ami tout son dégoût et sa haine du Salvador et de ses immondes habitants.

Ce livre est fabuleux, hallucinant, fantastique ! Cet écrivain me fait vibrer presque autant que Michel Tremblay ce qui n’est pas rien ! Son récit est absolument savoureux et rocambolesque à souhait. Le regard que porte Edgardo sur son pays natal est impitoyable et d'une dureté sans bornes. Bref, il hait tout ce qui est salvadorien : la musique, la politique, les militaires, la famille, les loisirs, la ville et ses divertissements malsains. Le récit de son voyage en avion est une pure merveille de même que celui de sa sortie avec son frère qui l’emmène « tirer un coup » avec un de ses amis noir dans un lupanar immonde et répugnant. C’est drôle, hallucinant et l’écriture touffue et dense de Moya, sans aucun paragraphe et comportant des phrases interminables emporte le lecteur dans un tourbillon de mots, de sensations pénibles, d’angoisse et aussi de moiteur palpable dont il est impossible de s’extraire avant d’avoir lu le tout dernier mot. Seul Moya est capable de décrire aussi bien des situations épouvantables avec un déluge de mots qui fouette le lecteur et l’entraîne dans le monde absolument infernal que constitue San Salvador pour Edgardo. Un pur régal !

Le personnage d’Edgardo est réel et réside effectivement à Montréal mais sous un autre nom. Moya a atténué quelques-uns des jugements de son héros pour épargner certains lecteurs. Dommage…

Suite à la publication de ce roman, Horacio Castellanos Moya a reçu de nombreuses menaces de mort qui l'ont contraint à s'exiler.

« Moi, ça faisait dix-huit ans que je n’étais pas revenu au pays, dix-huit ans pendant lesquels rien de tout ça ne m’a manqué, parce que je suis parti justement pour fuir ce pays, je trouvais qu’il n’y avait rien de plus cruel et inhumain qu’avec la quantité d’endroits qu’il y a sur la planète ce soit précisément dans ce coin que moi je doive naître, je n’ai jamais pu accepter, alors qu’il existe des centaines de pays, que ce soit dans le pire de tous, dans le plus stupide, le plus criminel des pays, qu’il me soit revenu à moi de naître, ça je n’ai jamais pu l’accepter, Moya, c’est pour ça que je suis parti à Montréal, bien avant que ne commence la guerre, je ne suis pas parti comme exilé, ni à la recherche de meilleures conditions économiques, je suis parti parce que je n’ai jamais accepté la macabre plaisanterie du destin qui m’a fait naître dans ces terres, me dit Vega. »

"Le commerce sexuel est ce qu'il y a de plus dégoûtant, Moya, rien ne provoque en moi autant de répugnance que le commerce de la chair, quelque chose en soi de visqueux et de propice aux malentendus comme l'est le sexe atteint des abysses abominables avec son commerce, une pratique qui ronge tes facultés spirituelles d'une manière foudroyante."
J'ai adoré 10 étoiles

"Le dégoût" d'Horacio Castellanos Moya (104p)
Ed. Métailié

Bonjour les fous de lectures….
Waouh !!!! Quel exercice de style nous présente Horacio Castellanos Moya!!!
Un long monologue, un seul paragraphe de 104p. Clin d'oeil subtil à Thomas Bernhard, le célèbre dramaturge autrichien.
Edgardo vega est exilé à Montréal depuis 18 ans. Jamais de regrets de sa famille ni de la mère patrie et si ce n'était assister aux obsèques de sa mère et régler sa part d'héritage, il ne serait jamais revenu en pays maudit.
Pendant deux heures passées dans un bar, Edgardo va monologuer face à notre auteur (ami d'enfance ) et lui balancer tout la haine qu'il ressent pour son pays et ses habitants.
Tout y passe, le politique, le social, la religion, la corruption.
Eduardo a vraiment existé.. n'est-ce pas cela le plus terrible ?
Récit impitoyable, fiel déversé à outrance.
On se prend au jeu et on se demande où Edouardo va s'arrêter.
Ne trouvera-t-il vraiment rien atténuant sa hargne pour son pays? aucune circonstance atténuante ? … Et bien non !!!!
C'est piquant , j'ai adoré.
Horacio Castellanos Moya est né au Honduras, il a longtemps vécu au Salvador, séjourné au Canada, au Costa Rica, il est aujourd'hui établi au Mexique.
Il a été menacé de mort pour ses livres (romans et essais), et ses activités politiques et journalistiques l'ont contraint plusieurs fois à s'exiler.

Faby de Caparica - - 63 ans - 8 décembre 2019


J’AI ÉTÉ… DÉGOÛTÉ !... 2 étoiles

Désolé de contredire la "flopée" d’éloges précédents, mais là, je dois vraiment dire que Horacio CASTELLANOS-MOYA m’a dégoûté ! Et c’est bien la première fois que je suis déçu par un livre de cet écrivain, dont j'ai pourtant lu presque tous les livres traduits.

Tout d’abord, l’écriture de ce livre ne correspond pas du tout aux autres livres de cet auteur. Il ne s’agit ici que d’un long, très long, trop long monologue du personnage principal qui est assez répétitif et surtout très monotone. Inutile de dire qu’à la fin on s’y ennuie ferme ! Je ne conseille du coup à personne d’entamer l’œuvre de CASTELLANOS-MOYA par ce livre, car il n’est absolument pas représentatif du style et de l’écriture de l’auteur, et risque donc de rebuter ceux qui pourraient s’intéresser à ses écrits.

Ensuite, je ne comprends pas l’utilité, l'intérêt même de ce livre. Son « essence » devrais-je dire… Sa place dans l’œuvre, pourtant flamboyante, de l'écrivain?
En effet pourquoi toutes ces pages littéralement « vomies » par l’auteur contre son pays? Basse vengeance? Frustration? Réglement de comptes? Désir de revenche? Insatisfaction? Mythomanie? Paranoïa?... Ou plus simplement : Bêtise? Je comprends que l’auteur a un grand ressentiment contre le Salvador, et qu’il vit en exil depuis de nombreuses années… Mais, n’est-ce pas le cas de nombreux autres écrivains ? Et tous n'éructent pas contre leur pays de façon aussi virulente!...

Mais encore? On comprend que le Salvador a été victime d’une longue et meurtrière guerre civile, victime de la répression militaire (si bien exposée par CASTELLANOS-MOYA lui-même dans «La servante et le catcheur »), du manque de démocratie, de la toute-puissance des chaînes de télévision (qui font et défont les présidents de ces pays), du nivellement par le bas de leur culture originelle et de leur enseignement, de la corruption endémique de ces pays etc… L’auteur nous parle de tout cela dans ce livre… Soit… Mais pourquoi en mal? Pourquoi uniquement « à charge »? Pourquoi avec une violence si tenace qu’elle exsude la haine à chaque page? Après tout quel pays d’Amérique du Sud n’a pas été (ou n’est pas encore…) victime des mêmes problèmes?... Alors?...

J’ai terminé ce livre avec une seule question : Quel intérêt pour le lecteur? Ma réponse? Aucun! En conclusion, je dirais donc que l’on peut, aisément, se passer de la lecture de la centaine de pages de ce « brûlot » si on lit l’œuvre, - par ailleurs absolument magnifique -, d’Horacio CASTELLANOS-MOYA!

Septularisen - - - ans - 15 février 2016


Ca décape! 8 étoiles

Pour la petite histoire, mon arrière grand-mère était salvadorienne, et j'ai encore beaucoup de famille dans ce pays, puisqu'une partie y est retournée après la fin de la guerre civile. Ne connaissant aucun écrivain originaire du Salvador, quand j'ai découvert Horacio Castellanos Moya à l'occasion de la sortie française d'un roman intitulé Là où vous ne serez pas, (tout un programme..!), j'ai voulu commencer par Le dégoût. Bien m'en a pris, je vais sans doute éviter de le citer dans les prochaines correspondances avec mes cousins éloignés.

Même si cet auteur , dans un entretien, dit:
" L’humour est une composante de la mentalité centrale-américaine. C’est difficile à expliquer, mais nous, les centre-américains, nous aimons rire de tout, et notamment rire des gens. Ce n’est pas toujours politiquement correct, mais c’est inscrit dans notre culture. C’est sans doute un mécanisme de défense. La réalité est trop dure pour être assumée sérieusement ", je ne suis pas persuadé que cet "humour" soit apprécié à sa juste valeur. Et d'ailleurs, pour ce seul roman paru au Salvador, les réactions ont été assez violentes..

L'avant-propos :

Edgardo Vega , le personnage central de ce récit, existe: il vit à Montréal sous un autre nom- un nom d’origine saxonne qui n’est cependant pas celui de Thomas Bernhard. Il m’a fait part de ses opinions de manière assurément plus outrée et plus crue qu’elles n’apparaissent dans ce texte. J’ai voulu atténuer quelques uns de ces jugements qui sinon auraient scandalisé certains lecteurs.

Ah bon!! Qu’est-ce que cela pourrait être, alors, car ce roman est déjà, disons assez heu.. percutant..

Vega, donc, exilé au Canada sous le nom de Thomas Bernhard , d’où le thème, pays je te hais- et le style- est contraint de rentrer au bercail une quinzaine de jours à la mort de sa mère. Pour l’enterrement et pour y toucher sa part d’héritage. Il y est accueilli par son frère et sa famille, et retrouve dans un bar un certain Moya, double de l’auteur, journaliste et écrivain. De 17 heures à 19 heures . Il boit deux verres de whisky, deux seulement à cause de sa colite. Et écoute Tchaïkovski. Et hurle. Son dégoût de tout ce qui concerne ce pays. Sa politique, son absence complète de culture, son frère, sa belle sœur, les enfants de son frère, la télé, la bière locale.. Tout y passe.. et on sort un peu abasourdi de cette lecture, à la fois exercice de style d’écriture, et de pastiche finalement, mais aussi portrait certainement réaliste, je n’en doute pas une minute, de ce qu’est devenu ce pays d’Amérique centrale après une guerre civile qui a fait 100 000 morts.

" Je ne décris que des personnages qui n’ont rien de commun avec moi. Tant que je ne les entends pas, le livre ne vaut rien. J’écris à l’oreille. Je pars d’un ton, non d’une vision. Au livre suivant, je change. D’abord, c’est un pari sur le langage. Ensuite, je déteste me répéter. Enfin, c’est le plaisir de la croissance : plonger dans d’autres passions, d’autres voix. La mienne ne m’intéresse pas "
Horacio Castellanos Moya dans Libération.

Là, ça sonnait quand même très personnel, pourtant.. Et une des forces du texte, c'est que ce n'est pas vraiment un personnage sympathique, ce Vega! Car après tout, la mort de sa mère, il s'en fout, seul lui importe l'héritage, il n'est là que pour 15 jours et s'il ne se plait pas chez son frère et ses neveux brailleurs, si les télés dans toutes les chambres l'horripilent tant , il n'était pas obligé d'y aller, si la bière locale lui donne la diarrhée, il n'est pas obligé non plus d'en boire etc.. Il réussit , par sa verve énervée qui mélange un peu tout tant il hait ce pays, ses états d'âme et ses problèmes digestifs variés, à nous donner envie de lui dire de prendre un Lexomil et de reprendre l'avion le plus vite possible. Et à la fin, il perd son passeport, c'est l'horreur absolue.. et c'est très drôle..
J'aime beaucoup les écrivains qui arrivent à rire d'eux-mêmes. Car c'est en grande partie comme cela que j'ai lu ce roman.

Un petit extrait:

Et les pires, ce sont les misérables politiciens de gauche, Moya, ceux qui naguère se faisaient appeler commandant, ce sont ceux qui m’écoeurent le plus, je n’aurais jamais cru qu’il y avait des types aussi vils, des types répugnants de la tête aux pieds, après avoir envoyé à la mort tant de gens, après avoir envoyé tant de naïfs au sacrifice, après s’être fatigués de répéter ces stupidités qu’ils appelaient leurs idéaux, les voilà maintenant qui se comportent comme les plus voraces des rats, des rats qui ont troqué leurs uniformes militaires de guérilleros contre le complet veston-cravate, des rats qui ont troqué leurs harangues de justice pour la moindre miette tombée de la table des riches, des rats dont l’unique désir a toujours été de s’emparer de l’Etat pour se goinfrer, des rats vraiment écoeurants, Moya, ça me fait de la peine de penser à tous ces imbéciles qui sont morts à cause de ces rats, ça me fait une peine terrible de penser à ces milliards d’imbéciles qui se sont fait tuer parce qu’ils obéissaient aux ordres de ces rats, à ces dizaines de milliers d’imbéciles qui sont allés à la mort dans l’enthousiasme parce qu’il obéissaient aux ordres de ces rats qui maintenant ne pensent qu’à amasser la plus grande quantité de fric possible pour ressembler aux riches qu’ils combattaient avant….


Et ça ne leur a pas plu, au Salvador?

Paofaia - Moorea - - ans - 29 octobre 2013


Style impressionnant, mais... 5 étoiles

À la Thomas Bernhard, on assiste à une diarrhée de mots, une grandiose montée de lait, un long monologue qu’on ne peut lire que d’un trait. La forme est intéressante, mais l’ensemble est trop répétitif. J’ai trouvé agaçant de me faire répéter les mêmes choses, parfois quatre fois d’affilée. Pour l’histoire, il y avait de bons moments, mais bon, ce n’est pas vraiment mon genre. J’ai trouvé le personnage frustré et misanthrope, ce qui s’allie avec la forme, mais ça ne m’a pas fait aimer le récit. Donc, j’ai trouvé que la forme est bonne, mais le fond moyen...

Nance - - - ans - 7 avril 2009