Contes et lavanes
de Birago Diop

critiqué par Débézed, le 5 décembre 2008
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
"Gardien de mémoire et berger de souvenirs"
Même s’il a recueilli le témoignage et les souvenirs des griots, bergers et autres gardiens de la mémoire et de la sagesse de la brousse sénégalaise, Birago Diop ne pourra pas cacher bien longtemps qu’il est un très fin lettré qui a une excellente connaissance de la langue et de la littérature française. Son champ sémantique, même s’il est truffé de termes propres à l’Afrique ou de mots empruntés aux divers langages employés aux Sénégal, s’étend à un vocabulaire français en général plutôt réservé aux élites intellectuelles.

Dans ce recueil de contes et lavanes, fables africaines, il fait, dans la plupart des cas, vivre un bestiaire qui, s’il nous fait penser immédiatement aux fables de la Fontaine évoque beaucoup plus sûrement le célèbre Roman de Renart. En effet, comment ne pas voir dans ceux personnages récurrents, Leuck-le Lièvre rusé, farceur et redresseur de tord le Renart du célèbre roman médiéval et dans Boucki-l’Hyène hideuse, vile, fourbe et âpre au gain l’Ysengrin de ce même roman. Et pourquoi, pour un Franc-Comtois comme moi, ne pourrait-on pas penser à Goupil et à Margot mis en scène par Louis Pergaud dans son célèbre bestiaire ? Même si toutes les civilisations ont leurs bestiaires et leurs contes animaliers, il est bien difficile de dissocier l’œuvre de Birago de la tradition africaine et de l’éloigner de la littérature française. Il faut donc voir là une forme de syncrétisme littéraire entre ses deux influences que sont la tradition orale africain et la sagesse qu’elle véhicule et la langue et la culture française avec sa morale.

Il faut aussi considérer que ce recueil de contes et fables a été publié pour la première fois en 1963, à une époque où l’Afrique venait de découvrir l’indépendance dans une grande partie de son territoire et que les jeunes républiques issues de la colonisation avaient encore un avenir ou croyaient encore en un avenir doré que l’histoire a bien vite terni. Et, on pourrait voir dans la publication de ces contes, une forme d’invitation à la sagesse et au retour à la tradition à destination de tous ceux qui avaient en charge le devenir de ces pays. Mais Birago n’est pas dupe, il connait les hommes et leur faiblesse, l’Afrique et ses mirages, et dans le premier conte de ce recueil, il raconte comment la petite chèvre innocente et téméraire qui a rencontré l’hyène cruelle et affamée croit échapper à la férocité du charognard en subissant avec succès l’épreuve qui lui est imposée mais se fait tout de même dévorer car « malheureusement, ce soir, Béye, tu as rencontré le BESOIN. » Ce fameux besoin que les Africains éprouvent désormais dans toute son ampleur et toute sa tragédie.