Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus
de Richard Brautigan

critiqué par Kinbote, le 16 novembre 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Mon nom est Richard Brautigan. J’ai vingt et un ans.
Des poèmes de jeunesse de Brautigan ont, en 1992, été pour la première fois envoyés à un éditeur par Edna Webster, qui était la mère d’amis de Richard et à laquelle le poète les confia, en 54, en lui déclarant : « Quand je serai riche et célèbre, ce sera ta sécurité sociale. »
Le Castor Astral les a publiés en 2003. Comme le signalent les traducteurs, T. Beauchamp et R. Rabier, dans leur avertissement, « ces inédits de jeunesse ne déshonorent pas, loin s’en faut, la mémoire de Richard Brautigan ». En effet on reconnaît d’emblée la patte Brautigan, à la fois par l’univers désenchanté décrit par petites touches et par la style si caractéristique. Les traducteurs soulignent justement que « les émotions, les objets et les situations de la vie quotidienne, les notions abstraites ou philosophiques, tout est observé du même œil, avec le même souci de la représentation insolite, de la singularisation du banal comme de l’exceptionnel. »

Le premier texte commence comme suit :

« Mon nom est Richard Brautigan
J’ai vingt et un ans.

Je suis un poète inconnu. Ça ne veut pas
dire que je n’ai pas d’amis. Ça veut surtout
dire que mes amis savent que je suis
un poète parce que je le leur ai dit. »

Il demande ensuite qu’on imagine que son esprit soit un taxi et qu’on se retrouve soudain à l’intérieur. Dans ce recueil, bilingue, vont ainsi alterner des textes sous forme de récits, dans lesquels est cité plusieurs fois Hemingway, et ceux au titre fantaisiste - parfois plus longs que le corps du poème - et aux vers à la découpe particulière.
Dans deux de ces textes, Brautigan conte sur un mode imaginaire son internement dans un asile psychiatrique. Ainsi, nous raconte Keith Abbott dans la préface, suite à une déconvenue sentimentale, Brautigan se rend à la police pour se faire interner. Comme on lui refuse ce "service", il lance une pierre dans une glace de séparation du commissariat…

Quelques extraits du recueil:

CHATS

J’aime les chats.
Pourquoi j’aime les chats ?
Je ne sais pas vraiment,
mais je pense que c’est pour la même raison
que j’aime l’aube

et le lever du soleil
et
la tombée de la pluie.


VOIX D'UN CRÉPUSCULE D'IL Y A LONGTEMPS

Je me souviens
d’une voix de jeune femme
roucoulante
dansant légèrement
un crépuscule de juin
et disant :
« La vie est O.K.
si vous ne la prenez
pas trop au sérieux. »


LES RÊVEURS AU CHÔMAGE

J’ai de la peine
pour les gens
qui ne sont pas employés
à rêver.


ADIEU À MON COMPLEXE D'OEDIPE

Pour Noël
je
vais offrir à ma mère
une bombe à retardement.


QUESTION 4

Les
hommes
castrés
rêvent-ils
de femmes ?


PORTRAIT DE FAMILLE 3

Six mouches
posées
sur une merde.


L'ENFANT DES AMANTS

J’étais
un
arc-en-ciel saoul.

Elle
était
une
lune
apeurée.

Nous
avons eu
un enfant.

En grandissant
il est devenu
une nuit glaciale
de printemps.


FAIM D'UNE ÉTOILE

J’aime,
profonde et pure
comme la rivière,
une étoile
nommée Mary.

Elle est collée
à cette fenêtre
d’éternité
appelée ciel.

Mes bras
ne font
que quelques centimètres.

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Bonne lecture !