La jeune détective : Et autres histoires étranges
de Kelly Link

critiqué par Romur, le 27 octobre 2008
(Viroflay - 50 ans)


La note:  étoiles
Sans queue ni tête
A la recherche de bons bouquins de Science Fiction ou de Fantasy, j'ai consulté la liste des prix Nebula et Hugo remis ces dernières années et le nom de Kelly Link est ressorti parmi d'autres pour sa nouvelle "The faery handbag" qui fait partie du recueil "Magic for beginners".

Ayant lu "Magic for beginners" en anglais, je ne connais pas toutes les nouvelles qui sont dans cette sélection que forme "La jeune détective : Et autres histoires étranges". Mais j'en ai lu la majorité, suffisamment pour pouvoir juger...

Kelly Link s'inscrit dans la veine fantastique, avec d'assez longues nouvelles aux personnages un peu déjantés ou déséquilibrés dont l'existence sombre à petites touches dans l'inquiétant, voire le cauchemar, sans que parfois les protagonistes semblent s'en inquiéter outre mesure. Si vous cherchez de l'horreur et du gore, vous allez être déçus : elle procède par petites touches, avec une recherche stylistique certaine.
Malheureusement, dans sa recherche intellectualiste elle s'égare parfois dans l'abscons. Si l'originalité est assez souvent au rendez-vous, quel dommage que les fins soient gâchées... par des non-fins.

Elle va devoir faire de sérieux progrès si elle veut dépasser le stade de la littérature fantastique pour adolescent gothique de bonne famille.
Ceci confirme par ailleurs l'impression que m'avaient déjà donné les prix Hugo et Nebula : c'est comme le prix Goncourt chez nous, à vouloir primer quelqu'un tous les ans, on est amené à primer des médiocres.
Nouvelle fantasy 8 étoiles

* Nymphéas, Lilas, Lilas, Iris (Carnation, Lily, Lily, Rose) : un mort, une mer pelucheuse, un hôtel vide et une boîte aux lettres. Le mort, qui ignore son nom, écrit à son épouse, dont il ignore le prénom. Apprendre à être mort. Jeu sur la mémoire, la culpabilité et les prénoms.

* Le chapeau du spécialiste (The Specialist's Hat) : une maison dans les bois, deux jumelles orphelines de mère dont le père écrit une biographie d'un piètre poète et romancier – ancien propriétaire de ladite maison -. Histoire de fantôme avec un écho à la forêt des Mythagos.

* Leçons de vol (Flying lessons) : revisite moderne de la mythologie grecque. Nouvelle aérienne, Kelly Link joue de la connaissance/ méconnaissance des mythes. Une jeune fille tombe amoureuse d'un jeune garçon poursuivi par la haine de la femme de son père. Une lecture très agréable.

* Voyages avec la reine des Neiges (Travels with the Snow Queen) : autre nouvelle entre mythologie et réécriture d'un conte de fées. Une jeune femme part à la recherche de son amant. Elle suit le chemin qu'indique ses pas sanguinolents, coupés par la carte-miroir. Pied-de-nez aux contes de fées où une princesse est sauvée par un beau et preux chevalier, la jeune fille voudra-t-elle toujours de son amant lorsqu'elle l'aura atteind ?

* Chaussures et mariages (Shoe and Marriage) : assemblages de plusieurs épisodes sur les thèmes du mariage et des chaussures. Ecriture d'un post-Cendrillon mélancolique et terriblement contemporain – recherche incessante d'un idéal fantasmé et inaccessible - ; jeunes mariés regardant depuis le poste de leur chambre d'hôtel un concours de miss aux dents acérées. Des textes aux qualités inégales.

* Le fantôme de Louise (Louise's Ghost) : deux petites filles prénommées Louise se sont rencontrées en camp de vacances et leur amitié ne s'est jamais démentie. L'une à une fille et collectionne les amants violoncellistes. L'autre a un homme marié pour amant et un fantôme dans sa maison dont elle cherche à se débarrasser. Puis Louis meurt alors qu'elles sont en froid. Elle a fait de Louis la tutrice de sa fille Anna. Mais Louise la confie à son père qu'elle n'a jamais connu. Elle recueille le fantôme de son amie avec bonheur.

* La jeune détective (The Girl Detective) : nouvelle éponyme du recueil et sans doute la plus marquante par son écriture en petits textes, sa narration par un personnage énigmatique vivant dans les arbres et se nourrissant de chinois, épiant le personnage non moins énigmatique de la jeune détective, laquelle se nourrit de rêves. Une nouvelle visite au monde des contes de fées avec belles jeunes filles dansant toute la nuit, boite de nuit dans le monde souterrain, et groupe de hold-upeuse en claquettes aux culottes jours de semaine.

« Pourquoi nous aimons la jeune détective
Nous aimons la jeune détective parce qu'elle nous rappelle les enfants que nous voudrions avoir. Elle est courtoise mais courageuse. Elle hait l'injustice ; elle est passionnée mais elle sait se tenir. Sa chambre est en ordre mais pas trop. elle nourrit son poisson rouge. Elle a de bonnes notes et elle se couche à l'heure, sauf quand sa nuirait à sa lutte contre le crime. Le week-end, elle rentrera d'une des meilleures universités et lavera son linge sale. »

« le monde est un endroit dangereux, peuplé de gens qui se méfient les uns des autres. Voilà pourquoi je suis bien dans mon arbre, je n'en descendrais pas, même si elle me le demandait. »

* Le sac à main féerique (The Faery Handbag) : drôle d'histoire de sac à main contenant un monde et ses habitants dont certains viennent en visite, voir un film, emprunter des livres à la bibliothèque, et où le temps s'écoule différemment ce qui fait qu'une journée dans le sac équivaut à vingt ans dans la réalité hors-sac, que les livres sont toujours rendus avec des retards considérables. Belle histoire entre une petite-fille et sa grand-mère et les histoires abracadabrantes de celle-ci. Une nouvelle joliment construite en découverte, tendre et délicate et douloureuse.

* Animaux de pierre (Stone Animals) : un couple avec deux enfants et un troisième en chantier quitte New-York pour une maison en lointaine banlieue. Entrourée d'arbres, gardée par deux statues de lapins géantes. Ce texte met mal à l'aise, et c'est sa destination. Je ne sais pas trop comment en parler, sinon par le malaise provoqué. L'écriture de Kelly Link, sa façon de poser des qualificatifs et de les mettre en balance demeure de qualité.

* Plans d'urgence antizombies (Some Zombie Contingency Plans) : il s'invite aux soirées de banlieue, il se promène avec un petit tableau dans le coffre de sa voiture, il est sorti récemment de prison, il pense aux zombies et aux icebergs. Il paraît avenant et sans danger, un leurre, une folie.

* Peau de chat (Catskin) : encore un texte déroutant. Une sorcière meurt empoisonné par un sorcier de ses ennemis. Elle disperse ses biens entre ses trois enfants restant, les deux aînés se dispensent de suivre ses conseils, le troisième Petitou hérite de la brosse à cheveux et de la vengeance de la sorcière. Histoire sur les apparences et l'enfance entre rébellion vaine et douleur de quitter la douceur des bras d'une mère.

* Magie pour les débutants (Magic for Beginners) : il y a une étrange série télévisée qui squatte les canaux neigeux du câble. Un groupe de cinq amis qui suivent scrupuleusement la série et en discutent. Jérémy dans ce groupe dont le père écrit des romans d'horreur avec araignées géantes, dont la mère vient d'hériter d'une chapelle de mariages et d'une cabine téléphonique à Las Vegas. Un texte particulier confondant réalité et fiction comme le lecteur ou le téléspectateur peut le faire.

« Jeremy s'est déjà demandé quel genre de séries les personnages de série pouvaient bien regarder. Les héros télé ont presque tous une coupe de cheveux plus réussie, des amis plus drôles, une manière plus simple de voir le sexe. Ils épousent des magiciens, ils gagnent au Loto, ils prennent pour maîtresses des femmes qui cachent un revolver au fond de leur sac à main. Il ne se passe pas une heure sans qu'il leur arrive des choses bizarres. Jeremy et moi, on est capables de laisser leurs cheveux de côté. On veut juste leur demander ce qu'ils regardent à la télé. »

J'ai plus apprécié les nouvelles issues du recueil « Stranger Things Happen » que celles provenant du recueil « Magic for Beginners », sinon cette dernière. Toutefois, force est de reconnaître qu'on se coule avec plaisir dans l'écriture glissante et ondoyante de Kelly Link, dans ses thématiques liées à l'enfance, mêlant mondes enchantés et monde moderne avec la bonheur du « Neverwhere » de Neil Gaiman, son introduction d'un narrateur- auteur et l'interpellation du lecteur par la seconde personne du pluriel. Un fantastique agréable, aux lapins inquiétants.
ou

Vda - - 48 ans - 27 octobre 2008