La tour d'amour
de Rachilde

critiqué par Débézed, le 24 octobre 2008
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
« Car le jeune fou qui aime est semblable au vieux fou qui se souvient. »
« Ho ! Hisse ! Hisse en haut ! » Jean le Maleux est très fier et très heureux, il a été choisi pour seconder le gardien du phare d’Ar-Men, là-bas tout au bout de la Chaussée de Sein, au bout du monde, là où les éléments liquides luttent avec férocité contre les reliquats de roche qui encombrent encore le passage des flots déchaînés. Là où les bateaux viennent se fracasser les nuits d’orage, semant leur cortège de cadavres dans le dédale des récifs.

Et là, Jean le Maleux découvre son patron, son seul compagnon, un reliquat d’humanité qui se fossilise dans le phare sans jamais retourner à terre, reclus sur ce bout de roc où des bâtisseurs acharnés ont réussi à dresser une tour, ayant rompu a jamais avec les hommes, ayant même perdu son alphabet. Et, Jean, au contact de cet être fruste, découvre la solitude, celle qui peut rendre fou quand le vent chante et hurle dans la lanterne. Et, même le retour à terre n‘apporte aucune joie, les filles sont trop volages et l’alcool rend malade et fait perdre la tête. Alors, l’homme se retrouve seul face à lui-même et perd progressivement son humanité dans cet univers de violence où les éléments tiennent le sort des vivants dans leur souffle infernal.

« C’est la tour d’amour » qui ne connut jamais les femmes, bien qu’un secret semble peser sur le passé de ce phare ajoutant l’angoisse de l’inconnu à la douloureuse frustration causée par le manque de tendresse et d’amour. « On ne pense plus au péché. On ne songe plus au plaisir. » On ne connaît plus les limites, les mœurs peuvent se déchaîner comme les éléments, de toute façon personne jamais ne saura …

Rachilde nous offre, dans ce court roman, une grande page sur la solitude, la frustration, la limite de l’homme perdu aux confins de l’humanité là où les éléments ont vaincu toute vindicte humaine dans un infernal déluge de vent et d’eau, dans une langue envoutante qui se déchaîne au rythme des éléments, qui chante comme le poète quand la mer se calme et qui jargonne comme un vieux marin un soir de cuite quand il faut évoquer ce reliquat d’humanité qui toujours résiste face aux éléments.