Une si longue lettre
de Mariama Bâ

critiqué par Débézed, le 20 octobre 2008
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
La condition de la femme africaine
« Modou est bien mort, Aïssatou. » Après le décès de son mari, Modou, Ramatoulaye écrit une longue lettre à sa meilleure amie qui a quitté son mari depuis un certain temps déjà. « Amie, amie, amie ! Je t’appelle trois fois. Hier, tu as divorcé. Aujourd’hui, je suis veuve. » La veuve de Mario dans l’ouvrage de Miguel Delibes, « Cinq heures avec Mario », dresse le portrait du mari tel qu’elle ne l’a pas connu et fait l’inventaire des erreurs qu’elle a faites, mais Ramatoulaye raconte d’abord comment sa meilleure amie a laissé son mari quand il n’a pas pu ni su résister à la demande de sa mère qui lui imposait une nouvelle épouse. Elle raconte ensuite sa propre mésaventure qui a vu son mari s’enticher d’une camarade de sa fille et comment elle a décidé de vivre en marge de cette nouvelle épouse.

« Privilège de notre génération, charnière entre deux périodes historiques, l’une de domination, l’autre d’indépendance. Nous étions restés jeunes et efficaces, car nous assistions à l’éclosion d’une République, à la naissance d’un hymne et à l’implantation d’un drapeau. » Mais, les traditions sont toujours vivaces en Afrique et les hommes ont bien peu de considération pour les femmes et surtout celles qu’ils ont épousées. C’est un long réquisitoire à l’encontre de ces traditions, des hommes et des femmes qui manipulent les hommes que dresse Mariama, mais aussi un regard lucide qu’elle jette sur cette Afrique qui balance entre modernité et tradition, entre l’Europe et la négritude.

C’est un texte sombre sans bien peu d’espoir, les enfants seront-ils « Fin ou recommencement ? », que livre cet excellent écrivain qui écrit dans une langue remarquable de justesse, de rythme et de vie. Une lettre sans concession pour ces Africains qui n’ont pas délaissé leur mœurs discriminatoires où les castes et les classes ne se mélangent pas, où l’éducation, pour les filles surtout, n’est pas encore une priorité.

Quand l’Afrique saura-t-elle allier la sagesse africaine à l’instruction des blancs ?
une femme africaine 10 étoiles

Ce roman épistolaire décrit par le menu la condition de la femme, soumise à la toute-puissance de la famille de son mari et aux quatre volontés de celui-ci, en terre d’islam version sénégalaise. Veuve, dépouillée de ses biens chèrement acquis au cours de trente années de mariage, Ramatoulaye se confie à sa meilleure (et seule) amie Aïssatou, qui elle a fait le choix de ne plus subir cette condition de dépendance extrême. Le récit, cheminant à travers les divers personnages que l’on découvre au fil de cette très longue lettre, dresse un terrible réquisitoire contre les abus d’une soi-disant tradition asservissant l’individu, de son plus jeune âge au seuil de la vieillesse, au pouvoir de la sacro-sainte famille. L’homme aussi est victime de cette négation de la dignité individuelle, mais sa condition demeure néanmoins à cent coudées au-dessus de celle de la femme, que dénonce avec un réel bonheur d’écriture ce fleuron des lettres africaines qu’est Mariana Bâ. Puisse un tel témoignage réveiller les consciences…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 28 octobre 2018


Triste sort 7 étoiles

C'est un témoignage fort que cette femme sénégalaise offre à travers cette "si longue lettre" qu'elle adresse à son amie.
Une femme qui se retrouve seule, quand son mari en épouse une autre, et qui perd aussi un peu d'elle même au moment de la mort de ce dernier, au nom des traditions encore bien ancrées:

"C'est le moment redouté de toute Sénégalaise, celui en vue duquel elle sacrifie ses biens en cadeaux à sa belle-famille, et où, pis encore, outre les biens, elle s'ampute de sa personnalité, de sa dignité, devant une chose au service de l'homme qui l'épouse (...)."


Aïssatou, la destinataire de la lettre, est partie quand son mari lui a annoncé qu'il épousait une autre femme, elle écrit alors elle aussi une lettre à cet époux volage mais sûr de son bon droit, dont voici un extrait:

"Mawdo,

Les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoirs. Les "autres" courbent leur nuque et acceptent en silence un sort qui les brime.
Voilà, schématiquement, le règlement intérieur de notre société avec ses clivages insensés. Je ne m'y soumettrai point."

La polygamie, encore en vigueur alors que la société évolue (les deux femmes travaillent), apparaît comme une contradiction qui fait bien des ravages.

Ecrit sobrement, mais avec beaucoup d'humanité et de coeur, ce récit est un beau portrait de femme qui cherche à s'émanciper et qui aspire à changer la société dans laquelle elle vit.

Sissi - Besançon - 54 ans - 14 avril 2011