Austerlitz
de Winfried Georg Sebald

critiqué par Donatien, le 19 octobre 2008
(vilvorde - 81 ans)


La note:  étoiles
"Les souvenirs sont comme les ombres de la réalité"
W.G. SEBALD (1944-2001), écrivain allemand, professeur de littérature européenne à l'université East Anglia (Pays de Galles).

SEBALD était un archéologue de la mémoire. Il craignait la disparition de notre désir de souvenirs! La mémoire doit être exercée ainsi que le culte des disparus.

Tous ses livres ont pour objet cette quête du passé. Le petit noyau du passé que nous portons tous est très fragile. Il faut chercher, se documenter sur la réalité comme un chien, d'une manière diffuse, en avant et retour , à gauche à droite, vite et lentement.
Il dit que les chiens pisteurs sont ses frères!

Son style est impressionniste. Des détails , mais repris dans des visions de choses qui impressionnent notre imaginaire et dont la signification est fournie par le récit lui-même.

Tous ses textes sont illustrés par des photographies qui prennent la tâche des "objets parlants" trouvés sur les lieux de mémoire.

Dans "AUSTERLITZ" Sebald fait se rencontrer le narrateur et un voyageur intéressé par l'architecture des gares, des places fortes, des palais.

La première rencontre a lieu dans la salle des pas perdus de la gare centrale d'Anvers. Le narrateur venait de quitter le "Nocturama" du zoo voisin où le regard exorbité des animaux nocturnes crée dès le début une "atmosphère gothique", puisque la gare est également sombre et peuplée d'êtres étranges.

Le narrateur et Jacques Austerlitz vont se rencontrer (parfois miraculeusement) durant 30 ans.

Austerlitz lui fera part de l'état d'avancement de l'enquête qu'il mène sur la première partie de sa vie soit avant son "transport" vers la Grande Bretagne en 1939, alors qu'il était encore enfant.

Il a été recueilli par un pasteur très rigoriste et névrosé qui lui cachera tout. Ce n'est que plus tard, délivré, qu'il osera entamer cette quête qu'il pressent être douloureuse.

Elle le mène d'Anvers à Bruxelles, de Prague à Theresienstadt, de Londres à Paris, à la recherche de sa mère Agata et de son père Maximilian.

Austerlitz est "submergé" par sa mémoire réactivée.

En couverture du livre, c'est la photographie d'Austerlitz en février 1939, au retour d'un bal masqué et 6 mois avant son "transport" vers la Grande-Bretagne.

Austerlitz (Sebald), dit à propos de cette photo : "Toujours je me sentais percé par le regard interrogateur du page venu réclamer son dû.... et attendant que je conjure le malheur qui allait fondre sur lui".
Même les photographies parlent!
"Les images sourdaient de lui"

A Theresienstadt (Terezin)il nous fait côtoyer les disparus et les vivants.
Il dit :"J'ai toujours le sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité".

Le texte et les illustrations, au lieu de réduire notre capacité d'imagination, en multiplient les effets.

Ce sont des textes qui "travaillent " le lecteur.

Un de ses amis , artiste-peintre, utilise un terme de gravure pour décrire le style de Sebald, celui de la "manière noire".
Ce procédé des XVII et XVIII èmes siècles, aussi nommé "mezzotinto" ou "demi-teinte" permettait que les formes "paraissent sortir de l'ombre".

C'est exactement l'effet ressenti ! Les lieux, les personnages, les objets font partie d'un théâtre d'ombres dont ils sortent au gré de l'inspiration de l'écrivain.

A lire avec patience et empathie.

Bonne lecture.
Une plongée dans les méandres de la mémoire 8 étoiles

Austerlitz a été recueilli à l’âge de quatre ans par un prêtre anglican et sa femme et élevé par ce couple austère. De sa vie antérieure, on ne lui parlera pas, il n’en a en apparence aucun souvenir ou en a occulté la mémoire. Austerlitz va se construire malgré ce vide, malgré cette éducation sans amour. Il semble y parvenir, réussissant ses études, décrochant un poste de chercheur en histoire. Un chercheur en histoire, pour un homme sans passé...
Si ce n’est que des choses clochent dans sa vie, des sentiments qui le submergent à la vue d’un lieu, une impression d’être en dehors de la réalité, son incapacité à se livrer, à nouer des relations durable. Petit à petit, Austerlitz se rend compte que ce vide a eu de lourdes répercutions dans sa vie. Il part alors à la difficile recherche de son passé enfoui, découvre des blessures qui le mènent non loin de la folie.
W.G. Sebald livre dans Austerlitz une très belle analyse de notre besoin de mémoire, des blessures de l’âme de son personnage. Il apporte une place importante à la description des lieux, à leur histoire, une place qui semble disproportionnée par rapport au sujet central du livre. Mais on sent au fil des pages, que cette histoire résonne au travers de nous et de son personnage. Et il finit par mêler, notre besoin de mémoire personnelle à celle de la grande histoire.
Le style de Sebald est précis voire méticuleux dans ses descriptions, son personnage introverti, le ton du livre mélancolique. Il faut se laisser bercer par cette lenteur pour apprécier le livre, on risque sinon de le trouver ennuyeux.

Grégoire M - Grenoble - 49 ans - 30 décembre 2011


"dit Austerlitz" 8 étoiles

J’ai eu du mal à rentrer dans ce livre mais l’ami qui me l’avait recommandé m’avait prévenu. Si la lecture en est exigeante et demande une concentration soutenue, elle aussi porteuse d’un vrai plaisir littéraire car « Austerlitz » est un très grand livre.

Je ne reviens pas sur le fond que Donatien a très bien analysé mais sur quelques autres points qui m’ont fasciné. Tout d’abord dans ce livre, tout est signe. Austerlitz qui est à la recherche de son identité est…historien. Il ne sait rien de son passé mais son hypermnésie lui fait tout retenir. Il engage facilement la conversation avec des inconnus mais la seule femme qu’il aurait pu aimer lui demande : »Ne peux tu me dire ce qui te rend aussi inaccessible ? ». Il dit qu’aussi loin qu’il s’en souvienne il a « toujours eu le sentiment de ne pas avoir de place dans la réalité » alors qu’il travaille sur ce qui reste d’une époque ou d’une civilisation, les monuments.

Ensuite, la construction du roman est extrêmement brillante. Sebald brouille les pistes, abolit le temps, mélange les époques et réunit les vivants et les morts au ghetto de Teresienstadt. Toute la réflexion sur le temps qu’il soit pratique comme celui des horloges de gare, historique comme celui de ses origines est un très beau texte qui prend prétexte d’une visite à l’observatoire de Greenwich dont le méridien donne le temps « universel ». L’auteur nous entraîne par des voies détournées vers des associations d’idées, des réflexions qui graduellement entrouvrent des portes ou des frontières, celles d’un temps retrouvé.

Ces pensées, ces détails, ces fragilités, ce travail de mémoire, Sebald cherche à les authentifier, peut-être, par des photographies. Le procédé ne m’a pas convaincu. Les photos sont trop petites (j’ai lu le livre en édition de poche), d’autres n’apportent rien de vraiment significatif même si certaines (quelques monuments, une aquarelle de Turner, la beauté de sa mère, des cimetières) sont touchantes et vont bien au delà de la simple illustration sans jamais cadenasser l’imagination du lecteur.

Enfin il y a ce style très particulier qui peut dérouter avant de séduire. Un seul paragraphe, peu de ponctuation, des phrases proustiennes qui s’étirent dans le charme d’une conversation qui elle même fait référence à une autre. Il y a en quelque sorte une double narration, parfois triple, celle d’Austerlitz au narrateur qui peut faire référence à une autre entre Austerlitz et un témoin de sa vie et celle de Sebald qui nous raconte sa rencontre. Ceci peut paraître compliqué alors que l’auteur, par la magie de son talent, aidé d’une traduction exceptionnelle, sait le rendre fluide, notamment par cette répétition « dit Austerlitz » qui est une sorte de scansion. Ainsi les pages 323 à 334 sont une seule phrase où se mêlent la vie d’un ghetto, la visite de la Croix Rouge, la bureaucratie des barbares et c’est tout simplement bouleversant.

Tout ceci au service d’un texte d’une très haute tenue, malheureusement le dernier puisque Sebald a disparu brutalement en 2001.

Jlc - - 81 ans - 17 août 2011