L'éveil de la glèbe
de Knut Hamsun

critiqué par Romur, le 5 octobre 2008
(Viroflay - 51 ans)


La note:  étoiles
Hymne à la terre
Isak arrive dans un coin sauvage de Norvège, avec son physique disgracié et sa constitution de colosse, ses quelques outils et son sens profond des choses de la terre. Il s’installe, défriche, bâtit. Il rencontre Inger qu’il épouse et qui l’aide à développer son domaine.
Cet Eden recréé va avoir ses serpents qui apportent les faiblesses, les vices et les crimes. J’ai d’ailleurs lu le livre en étant assez tendu, craignant à chaque instant les tours qu’allait me jouer Hamsun, mon appréhension étant renforcée par la lecture de la quatrième de couverture, et cette appréhension m’a gâche la lecture sans raison. Si deux ou trois épisodes font frémir, Hamsun ne s’y attarde pas et le livre est plein de la force et de la sérénité d’Isak et de ces colons auxquels son ami et protecteur Geissler rend un hommage vibrant dans les dernières pages, en opposition à l’industrie (la mine de cuivre) et au commerce (le magasin à Storborg) qui sont des aventures risquées pour joueurs impatients.
A l’opposé des inventions, des villes et du progrès, Hamsun place la tradition et la communion avec la nature et le travail au rythme des saisons qui apparaissent comme autant d’antidotes permettant à Isak et aux siens de résister aux tentations et corruptions ou bien de trouver la voie de la rédemption. Ceux qui connaissent le bonheur, ou du moins la sérénité et la réussite, sont ceux qui privilégient la nature à la ville et l’industrie, mais aussi ceux qui préfèrent l’enracinement à l’errance et au voyage, ceux qui préfèrent la communauté et le foyer à l’individualisme égoïste. On est donc loin de La terre où Zola dresse un portrait particulièrement sombre du monde rural et où l’agriculture paraît plus l’instrument et la cause de la déchéance et des passions qu’une voie de salut.

Deux précisions pour éclairer ce que je viens d’écrire :
- la nature en question n’est pas une utopie idyllique et Hamsun n’a rien de rousseauiste : il s’agit d’une maîtresse rude et parfois mortelle mais qui sait se montrer généreuse pour qui se soumet à ses lois et à ses enseignements ;
- le terme de rédemption ne doit pas être pris au sens religieux ou chrétien, malgré la lecture régulière de la Bible par Inger : le rachat, la réparation, la délivrance se font dans au présent et non dans l’au-delà, en référence à une morale et un mode de vie a-religieux, peut-être empreints d’une point de paganisme.

Au bilan, c’est un livre solide et serein comme son héro, qui se lit facilement et qui change agréablement des premiers ouvrages d’Hamsun (La faim, Mystères) avec leurs personnages déséquilibrés et fantasques. Par contre, on conserve la beauté et l'efficacité des descriptions des paysages, ambiances et natures qui sont un des points forts de Mystères.

PS : il m’a semblé que, à l’exception de son voisin Brede, ce sont des personnages « féminins » (y compris le fils Eleseus qui peut rentrer dans cette catégorie vu la description faite de son tempérament, son physique et ses rapports avec les femmes) qui constituent, par faiblesse ou bassesse, les maillons faibles de la communauté. Je serai intéressé d’échanger là dessus avec d’autres lecteurs.