Les gens honnêtes, tome 1
de Jean-Pierre Gibrat (Scénario), Christian Durieux (Dessin)

critiqué par Sahkti, le 4 octobre 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Un emploi perdu et tout s'effondre
La cinquantaine bien amorcée, un foyer agréable, des enfants qui ont bien grandi, une vie qui s'annonce tranquille... Philippe fête son anniversaire avec un brin d'insouciance et puis c'est la douche froide. Son patron lui annonce son licenciement, après 27 ans dans la maison. La boîte est délocalisée, merci la mondialisation. Pour Philippe, évidemment, c'est un monde qui s'écroule. Lui qui n'avait jamais réfléchi en termes de chômage se retrouve soudain envahi par la honte, la crainte d'être la risée des copains. D'autant plus que le logement de fonction dont il avait la jouissance lui est repris. Philippe s'enferme alors dans un monde qui n'appartient qu'à lui, délaisse la vie, entame la picole et... a la chance d'être soutenu par Fabrice, un ami, le seul à se manifester. Ce dernier lui propose un hébergement et aussi une oreille attentive.
Fanny est là aussi, sa fille, enceinte et soucieuse de la situation de son papa, cet homme surnommé "Monsieur 5 Minutes" à la maison, parce que toujours trop pris par son boulot et jamais le temps de vivre avec les siens.
La vie va donc changer, d'une certaine façon et finalement en mieux. A défaut d'avoir été un bon père, Philippe peut réussir le métier de grand-père et ça, c'est plus riche que tous les boulots du monde!

Thème d'actualité (hélas de plus en plus!), cette mise à l'écart de la société pour cause de perte d'emploi, avec tous les dommages collatéraux que cela suppose, est habilement traitée par Gibrat et Durieux. On peut se dire qu'il y a tout de même une forme de happy end à l'américaine, que tout finit par s'arranger et que la beauté d'être grand-père accompli vaut mieux qu'employé viré et paumé. Les gens qui se retrouvent du jour au lendemain dans cette situation n'ont pas tous un Fabrice ou une Fanny à proximité et pour beaucoup, c'est le début d'un tunnel irréversible dont on ne parle pas assez quand les entreprises décident d'aller faire leurs profits ailleurs.
Un peu trop rose peut-être mais pourquoi pas, ça apporte une bouffée d'espoir dans ce monde qui dégringole!
plus dure sera la chute? 8 étoiles

J’ai longuement hésité avant d'acheter cet album. Pourquoi ? Pour deux raisons: - c'était signé Gibrat mais le dessin n'était pas de lui (or j'adore le dessin de Gibrat) - c'était signé Durieux et le dessin de Durieux me rebutait un peu. Finalement, au vu des critiques lues dans divers magazines, j'ai sauté le pas et j'ai acquis ce premier opus, qui, au demeurant, peut se lire comme un one shot. Autant le thème principal peut rapidement tomber vers la tragédie (un homme perd son boulot du jour au lendemain), autant Gibrat a choisit une voie complètement différente, en tournant en dérision cette situation, qui nous arrache, en passant, de nombreux sourires. Pas de larmes, pas de rires non plus mais une vision satirique et féroce du chômage, de la déchéance d'un homme, qui, paradoxalement, nous fait du bien, beaucoup de bien et nous émeut, en cette période où la morosité semble dominer. Loin du dessin réaliste de Gibrat, le trait de Durieux oscille entre la caricature et le dessin de presse, avec un coup de crayon toujours vif, ce qui évite à l'histoire de tomber dans le côté pathos... bref Gibrat, finalement, a fait le bon choix en confiant les pinceaux à Christian Durieux. On sent une immense tendresse des deux auteurs dans les personnages... tendresse oui, c'est le maître mot que je retiens de la lecture de ce livre.

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 4 septembre 2011


Une première partie d'histoire de grande qualité... 10 étoiles

Il y a très longtemps, j’ai lu une histoire en bande dessinée qui m’a secoué profondément, c’était une des première fois que je sortais des grands classiques. Il s’agissait d’ « Avel », dessin de Durieux et scénario de Dufaux, excusez du peu. En février 1996, j’avais la chance de rencontrer les deux auteurs, mais depuis je n’avais pas suivi spécifiquement le travail de ce dessinateur que pourtant j’avais trouvé remarquable : une narration graphique efficace et esthétique comme il n’y en a pas tant que cela dans l’univers de la bande dessinée. D’où une joie bien réelle quand j’ai en en main cette histoire, « Les gens honnêtes », deux volumes scénarisés par Jean-Pierre Gibrat…

C’est l’histoire d’un homme ordinaire, Philippe. Il fête ses 53 ans et il semble respirer le bonheur. Sauf que le ciel va s’abattre sur lui d’un seul coup ! Il perd son emploi, tout simplement. Son entreprise délocalise, plus de travail, plus de salaire, pas d’indemnités, pas de retraites… le patron voyou ne déclarait rien. Dans notre monde, on passe ainsi du soleil à la nuit total, du chaud au froid, de la famille tranquille à la solitude dans la rue, de l’équilibre à l’alcoolisme dégradant et glauque…

Philippe se retrouve homme seul et abandonné. Il boit pour oublier, pour ne pas avoir à penser à tout ce qui se referme comme un piège diabolique sur sa pauvre vie qui lui donnait satisfaction jusqu’alors. Une femme partie, des enfants avec qui il ne peut plus parler, des amis qui le méprisent…

Heureusement, certains restent fidèles. D’abord, il y a Fabrice qui courageusement va le premier poser des jalons de reconstruction. Puis quand sa fille lui annonce qu’il va devenir grand-père – enfin surtout quand il le comprend – une seconde étape est franchie. Il doit se reprendre pour être digne. Puis il se remet au travail, petits boulots, puis le diabolique sous-emploi au black…

Alors, le destin change, tout le monde donne son petit coup de main à commencer par l’ami médecin qui aide à faire entrer quelques indemnités financières qui viennent, sinon moralement, du moins sur le compte en banque, compenser le manque d’aide au moment du licenciement.

On sent que Philippe est train de se remettre en route mais que tout n’est pas réglé. La remise en route, sera plus longue, mais l’album se referme avec une note d’espoir et on attend la suite avec impatience.

Bonne maîtrise de l’histoire par Jean-Pierre Gibrat, plus sous la forme d’un conte contemporain que d’un reportage social. Un dessin efficace, clair et précis, du Durieux pur et dur qui m’a réjoui le cœur et les yeux ! En plus, il semblerait que je vais avoir la chance de le rencontrer lors du prochain festival d’Angoulême… Que du bonheur !!!

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 23 janvier 2011