Difficile d’estimer le nombre d’ouvrages consacrés à Darwin et à sa théorie de l’évolution ; je ne pense pas me tromper en disant qu’il en existe une myriade et que chaque mois a minima un nouveau doit paraître. En découlent tout autant d’interprétations qui déforment plus ou moins les propos initiaux de l’auteur.
Remonter à une œuvre à laquelle l’histoire et l’actualité allusionnent tant profitera à ceux qui souhaitent saisir au plus près les hypothèses de Darwin.
Par exemple, concernant le « darwinisme social », on ne relèvera que très peu de phrases où Darwin attribuait du crédit aux thèses de Spencer. Même si elles n’abondent pas, elles nous arrachent quand même des grimaces, d’autant plus qu’elles constituent la conclusion du livre « Le résultat de cette guerre de la nature [ la sélection naturelle ], qui se traduit par la famine et par la mort, est donc le fait le plus admirable que nous puissions concevoir, à savoir : la production des animaux supérieurs ».
Réduire De l’Origine des espèces à ses travers et ses carences est excessif. Darwin regorge de pédagogie et de rigueur pour nous expliquer ce qui détermine la persistance des variations entre les espèces : la sélection naturelle, mais aussi, la tendance au retour vers des caractères perdus, la corrélation de croissance, et les conditions d’existence. La diversité et le détail de ses exemples pris sur le monde animal et végétal surprend et complique parfois l’appropriation de notions, surtout lorsqu’on ne sait pas faire la différence entre une tulipe et une marguerite… Dans sa sixième édition, De l’origine des espèces compte 650 pages. Autant le dire tout de suite, c’est une lecture exigeante et chronophage. Mais peut-être vaut-il mieux accorder 100 heures au livre de Darwin que 100 heures à 20 ouvrages contemporains sur la théorie de l’évolution et la sélection naturelle.
Darwin facilite l’ancrage de l’œuvre dans son contexte puisqu’il expose dans l’introduction les concepts des différents scientifiques de l’époque à propos de la variété des espèces. Buffon, Lamark, Wells, Grant, Matthew, Owen… autant de naturalistes qui s’opposent à la conception qui faisait jusqu’alors consensus : les espèces sont des productions immuables, crées séparément, dont les variations découlent seulement des conditions extérieures. Les variétés se distinguaient de manière arbitraire selon l’opinion individuelle.
Contrairement à ce qui sous-entend C. Conner dans Histoire populaire des sciences (entre autres), De l’Origine des espèces nous apprend que Darwin reconnaissait l’importance de ses prédécesseurs qui ont soutenu publiquement la sélection naturelle (Wells), ont combattu les préjugés et préparé le terrain (Matthew) ou encore ont publié les mêmes idées au même moment (Wallace). Le mérite revient aussi à certains paléoanthropologues et géologues minoritaires de l’époque qui, mettant en évidence l’imperfection des documents géologiques, rejettent le principe d’immutabilité des espèces.
Une lecture extrêmement instructive, éveillant toujours plus notre curiosité vis-à-vis de l’évolution, de l’eugénisme, de l’histoire des sciences en général.
Livre lu en français dans sa 6ème édition.
Elya - Savoie - 35 ans - 20 décembre 2012 |