La volonté de punir : Essai sur le populisme pénal
de Denis Salas

critiqué par Veneziano, le 30 août 2008
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Lutter contre les angoisses répressives
L'auteur, magistrat et chercheur, démontre, avec moult illustrations à l'appui, que les sociétés occidentales offrent une hausse inquiétante du nombre d'infractions répréhensibles et une élévation des sanctions applicables.
La cause en est l'attention faite aux victimes, érigées en martyrs, d'où la création d'une victimologie. Si s'en préoccuper est évidemment parfaitement légitime, le sentiment d’insécurité et une forme de surprotection créent une forme de course à la répression, qui aboutit à l'augmentation de la judiciarisation et de la pénalisation de la vie sociale, et du nombre d'emprisonnements, dont les conditions vont fatalement en se dégradant, même si le taux d'incarcération en France n'atteint pas les sommets connus aux Etats-Unis, du double.
Par ailleurs, le débat public, toujours passionnel, depuis le thème récurrent de la peine de mort, s'est accentué.
La socialisation des détenus est un souci souvent négligé. Le bracelet électronique est bien une alternative, mais pour les coupables ayant un logement, et le nombre de travaux d’intérêt général est en baisse.

La morale de la chose est qu'il faut éviter à tout prix la vindicte populaire et la passion, là où il faut trancher dans la sérénité.

Ce petit livre, écrit dans un style courant, est très clair et passionnant.
Nos « démocraties » et le populisme pénal 10 étoiles


Aujourd’hui, partout dans le monde riche, les politiques martèlent leur détermination : il faut punir !
Les médias enclenchent joyeusement et nous abreuvent d’affaires judiciaires les plus sanguinolentes. On façonne ainsi un « peuple-émotion » prompt à réclamer les châtiments les plus longs. Et tout le monde est expert criminologue au Café du Commerce…

Ce livre, écrit par un magistrat, raconte par le détail notre exaltation populiste en matière pénale. La peine de mort a disparu de bien des pays, soit, mais il y a inflation de lois pénales et la lourdeur des peines est devenue un des enjeux politiques de la compétition politique, cela dans une société où les valeurs partagées s’affaiblissent, laissant la place à cet étrange exercice quasi religieux : la damnation des coupables et la sanctification des victimes.

« Le délitement des grands pôles d’intégration de l’Etat providence (salariat, aide sociale) est patent. »
« La lutte contre l’insécurité doit donc être ostentatoire et lisible pour réaffirmer la cohésion sociale que ronge l’insécurité. »
« Le récit médiatique est le corps conducteur de ce populisme : pensée affective, rôles stéréotypés (assassin odieux et innocentes victimes), représentation volontiers binaire (le Bien et le Mal), qui appellent un jugement immédiat du public. Le fait divers parle le langage des affects. »
« A partir du moment où le destinataire de la peine (au sens large) n’est plus l’individu mais le public, ce dernier devient le critère et la justification. La justice se définit alors par rapport à une attente collective largement façonnée par la presse, les faits divers médiatisés ou les porte-parole des victimes. Réduite à sa seule réactivité, la « réponse » devient proportionnelle non aux faits qualifiés, aux prudentes évaluations, mais aux indignations morales les plus contradictoires. »
« Comment espérer une quelconque efficacité d'une politique pénale exclusivement rythmée par des scandales ? »

C’était quelques phrases tirées du livre. Elles en donnent bien le ton.

L’auteur demande un véritable débat avec une réelle information (et, à cet égard, la presse ne fait absolument pas son travail : elle « met en scène » la délinquance pour la traiter en spectacle). Dans les faits, il y a – dans le long terme – un déclin de la grande criminalité en Europe (notamment les homicides), mais la petite délinquance est en hausse (elle « correspond à une délinquance d’appropriation inhérente à l’expansion d’une société de consommation »). On sait aussi que la délinquance est, dans son immense majorité, le fait de jeunes issus des couches les moins favorisées de la population, en échec scolaire grave et issus de familles en perdition. La seule réponse doit-elle être la prison ? Et si l’on parlait plutôt de justice sociale ?
Les longues peines de prison n’empêchent pas la récidive, au contraire.
Les travaux de démographie carcérale montrent que c'est la libération conditionnelle avec ses contrôles et obligations qui évite la récidive. Un suivi à la sortie de prison fait chuter de moitié le risque de récidive. Une politique volontaire de réinsertion est bien plus réductrice de risque que la prison.
Pourquoi cette vérité incontestable, chiffrée, démontrée, admise par tous les spécialistes de la chose, n’arrive-t-elle pas à percer dans le débat public ?

Je vous laisse quelques-unes des conclusions de l’auteur.
« Le peuple n'est pas populiste par fatalité : il est seulement en attente de représentation. »

« La dialectique entre le peuple et ses représentants est perpétuellement à construire. Encore faut-il, pour cela, ne pas renvoyer à ce peuple le miroir de ses émotions. »

« La volonté de punir est une folie qui sape la légitimité du droit de punir. »

Et je reprends la parole pour insister une dernière fois (je sais, je me répète…) : sur ces questions de la délinquance et des peines, les médias ne font que mettre en scène une sorte de « reality show » d’une navrante pauvreté intellectuelle. A force de mettre en exergue telle ou telle horreur, les médias nous empêchent de « penser » la question, ce qui laisse toute la place aux manipulations politiciennes.

Oui, il arrive que des spécialistes se trompent en remettant en liberté un futur récidiviste (mais c’est rare), et si l’alternative est de laisser indéfiniment en prison tous les délinquants…



Bolcho - Bruxelles - 76 ans - 1 décembre 2011