Franchissez la ligne - Essais (1992-2002)
de Salman Rushdie

critiqué par Romur, le 29 août 2008
(Viroflay - 50 ans)


La note:  étoiles
Ce que nous devons défendre
Ce recueil de textes et d’essais écrits par Salman Rushdie en 1992 et 2002 se compose de quatre parties bien distinctes. La première, pétillante et humoristique, faussement frivole, sur l’actualité et sa jeunesse. La seconde, « Message des années noires », entre 1992 et 1997, est le récit pesant de son combat contre l’oubli, l’injustice, la lâcheté, la complaisance dont ont fait montre bien des journaux et biens des responsables politiques alors qu’il était poursuivi par les tueurs de Khomeiny. La troisième partie, de 1998 à 2002 est marquée par son obsession de la lutte contre l’islamisme et toutes les libertés. Il y a notamment des pages très fortes sur le 11 septembre, précédées de propos parfaitement prémonitoires sur ce qui allait advenir. La quatrième partie est l’essai qui a donné son nom au recueil : une longue réflexion sur la notion de frontière, de limite, de ligne. La fin de l’essai, dans laquelle il revient à ses obsessions, est un peu faible et les derniers propos sur la nécessité de transgresser les limites au nom de l’art, au mépris de toute morale, indépendamment de ce qui s’est passé et de ce qui pourrait advenir, paraît plus une réaction désespérée face aux pressions qu’il a pu subir que le fruit d’une réflexion responsable. Il n’y a qu’à lire son propos sur la télé-réalité pour constater que, face à des questions concrètes, Rushdie est (heureusement) capable de quitter les généralités idéologiques.

Ce livre éclaire la personnalité de Salman Rushdie et témoigne de sa douloureuse existence après la publication de la fatwa de Khomeiny. Il est passionnant de découvrir le citoyen du monde qui est l’auteur génial des "Enfants de minuit", des "Versets sataniques" ou d’"Haroun et la mer des histoires", tout à tour géopoliticien, critique littéraire musical ou artistique, historien.
Je me suis fait la réflexion en le refermant que, même si il a réussi à mettre en échec les tueurs jusqu’à l’abrogation de la fatwa, même si il a remporté une victoire en restant une personne publique, écrivain et journaliste, au lieu de se terrer, même si il a formidablement résisté à toutes les pressions, ses ennemis ont réussi à l’atteindre et le blesser, voilant à jamais le regard qu’il porte sur le monde et faisant de cette obsession islamiste une cicatrice dans son âme.
Mais il est ainsi devenu une voix pour nous rappeler tout ce que nous devons défendre : la liberté de pensée, la minijupe, le sport, le sandwich au jambon...