Des phrases courtes, ma chérie
de Pierrette Fleutiaux

critiqué par D'Artagnan, le 9 novembre 2001
(Tournai - 60 ans)


La note:  étoiles
La vieille dame, la fille et la mort
C'est l'histoire d'une vieille dame, d'une mère, racontée par sa fille. Ou plutôt le récit des visites que, pendant sept ans, la fille a rendues à sa mère dans la maison de retraite où la vieille dame s'est acheté un deux-pièces.
Elle a vendu sa maison, quitté ses racines paysannes, et essaye tant bien que mal de s'adapter à cette résidence pour personnes âgées. "Tout pour l'apparence ici" ne cesse-t-elle de dire.
Pourtant elle se bat pour maintenir sa dignité, son intérêt pour les autres; elle ne cesse de se raccrocher à ses souvenirs de fillette, à la ferme, de jeune fille qui a quitté la terre pour faire des études, de jeune mariée, d'épouse et de mère comblée par la vie. Cela lui permet de ne pas sombrer, de retarder la rencontre avec "le corbeau". En somme, elle continue tant bien que mal à "régner"... Sa fille raconte les combats de sa mère, mais aussi ses propres luttes : pour essayer d'écarter "le rideau de cellophane" sous lequel gît la maison de retraite, pour que sa mère ne cesse pas de se battre, pour continuer envers et contre tout à être une fille aimante. Et elle l'est, même si le récit ne cesse de mêler les contradictions et les oppositions : la mère et la fille; la femme déjà très vieille qui n'accepte pas que sa fille se fatigue elle aussi; les deux visages de la mère, celle "aux mille pardons" et celle "au reproche irréparable"; la fille qui "n'a jamais su sur quel pied danser" avec sa mère et qui pourtant a dansé "comme elle n'a jamais dansé"; la mère qui luttait pour survivre face à ses enfants et ces derniers qui luttaient pour accorder à leur mère l'attention qu'elle méritait... Un beau récit plein de sensibilité, de tendresse, de douleur, mais aussi de férocité et de cocasserie. Il m'a fait penser au court récit de Régine Detambel "Le long séjour", qui donne voix à trois personnes âgées dans un home. Le texte de Pierrette Fleutiaux est vrai, et pas seulement parce qu'il résonne d'accents autobiographiques : la vie de l'écrivain, son regard sur l'écriture seront à jamais marqués de l'ombre de celle qui conseillait "des phrases courtes, ma chérie".
Le livre qui m'a le plus marqué 9 étoiles

Lorsque j'ai lu ce livre, je venais de perdre ma mère dans les mêmes conditions que l'auteur.

Bien que ce soit un petit livre, j'ai mis des jours à le lire. Je lis beaucoup dans les transports et les larmes me venaient tellement rapidement aux yeux que je ne pouvais continuer la lecture.

J'avais entendu une excellente critique sur France Inter et je n'ai pas été déçu.

Cela fut une réelle thérapie, quel bonheur de voir que quelqu'un d'autre a ressenti les mêmes émotions que vous et sait les exprimer.
C'est pourquoi la littérature est tellement importante, savoir exprimer les émotions.

J'ai prêté ensuite le livre à ma soeur qui m'a demandé si elle pouvait le garder tellement il l'avait marquée. Ce fut pour elle également une thérapie.

Du coup j'ai racheté un exemplaire que je n'ai jamais ouvert, mais je tenais à avoir ce livre en bibliothèque.

Je comprends tout à fait que quelqu'un qui n'a jamais connu une telle situation trouve ce livre "voyeur" mais je peux vous assurer que pour moi il m'a été d'une aide énorme pour passer ce cap difficile.

Rien que pour cela je dis : "Merci Madame Fleutiaux"

Bobo - - 64 ans - 14 janvier 2010


dérangeant 1 étoiles

je n'ai ressenti aucune émotion à la lecture de ce livre. Il m'a même paru quelque peu dérangeant dans certains passages "voyeuristes".
Je n'y ai trouvé aucun intérêt. Le tout reste assez plan, sans suspens, ni émotion...

Lolita - Bormes les mimosas - 38 ans - 30 août 2006


Ca fait si mal 9 étoiles

Comparer ce livre à celui de Lydia Flem ne lui rend pas justice, à mon avis. Autant j'ai lu le deuxième avec respect, autant ces phrases courtes m'ont profondément émue. L'auteure sait merveilleusement rendre l'ambiguïté des sentiments que l'on éprouve face à sa mère vieillissante; tout l'immense amour de la petite fille qui a tellement peur de perdre sa maman; toute la rancoeur et l'énervement de l'adulte qui ne peut plus supporter les déficiences qui le rendent honteux. Et surtout honteux d'avoir honte. Toute la peine, incommensurable, de constater la déréliction réelle ou supposée, de réaliser que sa mère n'est pas parfaitement heureuse, de faillir dans le rôle qu'on estime avoir.
Et tout ça à travers de petites pastilles de moments partagés, autour du quotidien qui, au final, seul nourrit.
Il est un temps pour réfléchir, digérer, regretter, pleurer.
Mais avant c'est finalement une telle chance de pouvoir accompagner, un peu...

Cuné - - 56 ans - 22 octobre 2005


Malaisée... 6 étoiles

J'ai mis de côté ce livre, par dépit. J'ai trouvé qu'il était beaucoup trop personnel, pour la narratrice, pour l'auteur donc. Et je me suis sentie indiscrète, voyeuse de lire ce témoignage très / trop intime. De plus je n'ai pas été terriblement touchée, émue aux larmes, parce que l'idée d'être un jour concernée ne m'a pas effleurée. Pas que j'en chasse l'idée, juste que j'ai voulu me détacher du récit. Lequel est empreint de justesse, de douceur, de pudeur quand même et d'amour avant tout ! Il y a des passages assez universels, que nous pouvons tous nous approprier, mais qu'une certaine décence nous empêche. Une maman vieillit, on va la perdre, bah ça n'est facile pour personne!

Pourquoi l'auteur choisit-elle de baigner dans l'auto-fiction, genre qu'elle n'affectionne pas particulièrement ? Il faut certainement des mots pour se libérer, pour faire son deuil. Au lecteur de se saisir de ce qu'il a envie, moi j'ai retenu : "Notre mère ne pouvait plus rester seule dans sa grande maison vide. Elle y perdait la tête. Nous, dans notre vie, nous perdions les pédales. Des scènes affreuses, dont on n'aurait pu imaginer qu'elles arrivent à soi. On descend de degré en degré dans une infamie à laquelle on ne peut croire. On est comme poussé à l'aveuglette sur un parcours obscur, obligé de jouer des rôles dans une pièce de théâtre gonflée d'emphase, ridicule."

Clarabel - - 48 ans - 21 avril 2005


Lorsque la vieillesse paraît 8 étoiles

Pour décrire l’accompagnement de sa mère dans une maison de retraite, l'auteure nous livre une succession de petits tableaux qui portent chacun un titre (coiffeuse, robe, collier, penderie, encyclopédie, mandoline, salle à manger, chemise..) Tous ces chapitres sont des petits chefs d’oeuvre d’écriture.
Mis bout à bout, non seulement ils retracent l’histoire de sa mère et de son enfance paysanne jusqu'à sa vie de professeur pour échapper à sa condition, mais ils s'interrogent aussi sur cette relation ambiguë mère/fille et surtout laissent transparaître les sentiments contradictoires qu'éprouve l'auteure envers sa mère, devenue dépendante d’elle. C’est aussi une interrogation sur la vieillesse dans notre société
"Il n’y a pas de refuge pour les gens qui n’ont ni Alzheimer, ni démence sénile, ni maladie, qui n'ont que la vieille vieillesse. Il n'y a pas de nursery pour les grands vieillards, pas de berceaux pour ces bébés ridés, pas de mères pour ces enfants desséchés, pas de biberon pour leur très grande soif."
"Il n’y a pas de communauté pour cette maladie qui n'en est pas une, pour l’extrême vieillesse. Chacun est seul, les autres vieillards sont au mieux inutiles, au pire ils sont nuisibles, les peaux usées se frottant l'une contre l’autre ne peuvent réconforter la chair, au contraire elles découvrent d'autant plus vite le squelette".
La lente et irréversible descente de sa mère vers la fin d'une vie lui jette en pleine figure la sienne, pas si lointaine lorsque sa mère aura disparu.
"Depuis peu, je suis sujette à des bouffées d'hostilité dans la rue. Tous ces corps à l'agressive et stupide jeunesse, avec leur esprit mal dégrossi. Ils ne savent pas lire le livre de la vie. Ils ne savent rien."

Grâce à ce livre, Pierrette Fleutiaux a reçu de nombreux prix : le prix national des bibliothèques, lauréate pour la France du prix annuel des meilleurs romans étrangers du 21ème siècle, le prix spécial lors de la remise des prix littéraires de la Gendarmerie.

Darius - Bruxelles - - ans - 4 juillet 2003