Les insolences du frère Untel
de Jean-Paul Desbiens

critiqué par Corail, le 20 août 2008
(Ottawa - 63 ans)


La note:  étoiles
Insolences.... insolentes avec réserve
Lorsque Jean-Paul Desbiens a écrit sa première lettre au journal Le Devoir en 1960 sous le pseudonyme de frère Untel, se doutait-il du chambardement social qui allait en résulter indirectement ? Sûrement pas. S'il l'avait su, l'aurait-il écrite quand même ? Probablement, selon ses propres dires.

Cette lettre et les autres qui suivirent constituent Les Insolences de frère Untel où Jean-Paul Desbiens a tenté, avec un certain conservatisme ( quoiqu'on en ait dit à l'époque..), de rétablir un équilibre plus sain de la notion d'autorité et ce, tout particulièrement en ce qui concerne celle que l'Église Catholique exerçait sur le système d'éducation du Québec. « Du fond de notre trouille, du fond de notre conformisme, il faut crier et signifier jusque dans notre style que nous en avons soupé du tremblement janséniste québécoisé (...) Mais honorer le chef n'implique pas que l'on vive sur le ventre. Nous sommes tous des hommes, et les hommes sont faits pour se parler debout. Il est temps de mettre la hache dans la conception fétichiste que l'on nous a donnée de l'autorité. Conception que nous contribuons à perpétuer par servilité et par irréflexion ». Il y déplora aussi avec vigueur l'usage omniprésent du joual, parfois avec humour et originalité, parfois avec l'inquiétude du désespoir, en insistant sur la nécessité de préserver, en prenant des mesures concrètes, la langue française.

Pour un prêtre catholique écrivant dans les années 60' dans un Québec archireligieux, son texte était certes audacieux. Cependant, avec le recul et l'objectivité que donne le temps, on voit bien que Desbiens n'était nullement anticlérical, ce qu'il a d'ailleurs toujours affirmé et qui peut décevoir un peu car cette position apparaît un tantinet couarde. Les lettres, qu'il a reçues et publiées, de la part de plusieurs membres du clergé démontrent clairement qu'on essayait de le faire taire. Par exemple, celle-ci provenant de Mgr Camille Mercier : " (...) ce qui m'autoriserait à vous dire ce que je pense de votre dangereux bouquin. Je vous le répète bien clairement : Les Insolences du Frère Untel m'ont surpris et révolté. Je vous en supplie, n'allez pas prendre trop au sérieux les compliments de quelques gauchistes dont je préfère ne pas parler. (...) " Et pourtant, malgré ces interdits dont on a frappé ses écrits, Desbiens s'est entêté à excuser l'Église. En effet, d'un coin de la bouche, il dénonce avec verve le produit du cléricalisme abusif, soit un peuple archidominé, ayant un besoin criant de développer sa faculté de penser, mais de l'autre il en défend la source, soit un clergé dominateur et censeur qui étouffe dans l'oeuf toute liberté de penser. Il n'empêche que ce bouquin, rédigé dans un style intelligent, parsemé de citations délicieuses et judicieuses (*), a créé un sérieux remous dans la carte routière du Canada français. Il a aussi fait office de carburant à la Révolution tranquille dont les premières flambées s'embrasaient à l'horizon québécois, jouant même un rôle de leader sur cette scène en effervescence.

Dans une annexe, en 1988, Desbiens a offert une réflexion sur la pertinence de son expérience ainsi que sur l'impact qu'elle a eu sur sa vie : « Il va de soi que cette aventure m'a apporté de la joie. Elle m'a aussi apporté des ennuis, et des durables. Au moment d'être courageux, on est porté par une espèce d'exaltation mais, ensuite, il faut monnayer seul, et sans exaltation, les conséquences de son action. Courageux, d'ailleurs, je ne le fus qu'à demi, et inconsciemment. J'avais plongé sans connaître la température de l'eau. Ensuite, il a fallu nager, chose qui s'apprend dans l'eau. Une telle aventure change une vie. Elle la charge. On ne vit pas pour rire. »

Les Insolences de frère Untel constituent donc une lecture essentielle à toute personne intéressée à comprendre l'histoire du Québec et de la Révolution qui en changea le profil à jamais. On ne peut qu'admirer le courage dont cet auteur a fait preuve, osant exprimer tout haut ce que ses tripes lui dictaient, mais regretter que
même dans son courage, il se soit imposé un certain bâillon.


(*) « Ce qu'ils nomment vie spirituelle, par un étrange abus de dictionnaire, est un programme d'études fort compliqué et diligemment enchevêtré par de spécieux marchands de soupe ascétique, en vue de concourir à l'abolition de la nature humaine. (...) Toute action, toute pensée non prévue par le programme, c'est-à-dire toute impulsion naturelle et spontanée, quelque magnanime qu'elle soit, est regardée comme indiscrète et pouvant entraîner une réprobatrice radiation .» (Léon Bloy, Le Désespéré)