Au bon beurre ou Dix ans de la vie d'un crémier
de Jean Dutourd

critiqué par Smokey, le 18 août 2008
(Zone 51, Lille - 38 ans)


La note:  étoiles
Scènes de la vie sous l'Occupation
Ce livre (prix Interallié) nous raconte l'histoire pendant la seconde guerre d'un crémier qui "s'engraissait"sur le dos des pauvres gens. Coupant le lait, bidouillant la balance, tout est bon pour gagner de l'argent (qu'il entasse avidement sous forme de lingots dans son garde-manger). Voici donc la famille Poissonard.
C'est également le parcours de Léon Lecuyer, prisonnier français dans un oflag de Poméranie qui s'échappe et termine professeur de français après la guerre.

C'est surtout une des rares histoires qui nous montre la lâcheté de nombreuses personnes pendant cette sombre période. L'auteur décrit la vie de ses personnages avec beaucoup d'humour et l'intrigue est bien ficelée.En bref, un livre très agréable.

La critique de François Mauriac met très bien en évidence ce qui ressort de ce livre:

"Certains critiques m'avaient détourné de lire "Au bon beurre", laissant entendre qu'il existait, entre Jean Dutourd et le couple immonde qu'il a peint, une obscure connivence. Or, à mesure que, ces jours-ci j'avançais dans le livre, j'éprouvais un sentiment de délivrance.

Enfin, me disais-je, tout de même, cela aura été dit.

Ce couple à qui, plus ou moins, nous aurons tous eu affaire, pendant quatre ans, le voilà dénoncé, exposé au pilori qui désormais dominera l'histoire de ces noires années. Que l'auteur de ce beau livre soit un homme courageux, il faudrait pour le nier ne rien connaître de la lâcheté qui, aujourd'hui, incite tant de paupières à se baisser opportunément, scelle tant de lèvres."
Un gros pavé dans la marre! 8 étoiles

Il est clair qu’avec Au bon beurre Jean Dutourd lança un gros pavé dans la marre !
Paru en 1952, quelques années donc après la fin de la seconde guerre mondiale, ce roman met en avant une des facettes cachée de la guerre : le marché noir et ceux qui se sont servi de cette guerre pour s’enrichir.

Au travers d’une famille lambda, les Poissonard, crémiers de profession, Jean Dutourd nous dépeint toute la palette des comportements humains avec un penchant pour la bêtise, la lâcheté, la bassesse et la traîtrise. Cette famille, ô combien profiteuse, veule et couarde symbolise ces personnes qui ont su profiter de l’occupation, s’enrichissant sur la détresse humaine, portant aux nues la bravoure et l’organisation sans faille de ces soldats allemands qui redresseront la France. Sentant le vent changer de direction, ils n’hésiteront pas à renier leurs dires et défendre vaille que vaille notre cher pays qui a tant souffert. Le passage avec le généreux soldat allemand en est le meilleur exemple.
Autre personnage central, Léon Lécuyer, parfait contraste des Poissonard, jeune prisonnier français évadé, cœur vaillant, héroïque mais tellement naïf, est le parfait représentant de cette France insouciante, si sûre d’elle… Je pense notamment au terrible fiasco de la ligne Maginot, parfait symbole de cette naïveté balayée par le pragmatisme allemand. Cet autre personnage a dû lui aussi faire grincer des dents.

Je dois avouer que j’ai été surpris par la facilité avec lequel j’ai lu ce roman. Ecrit il y a plus d’un demi-siècle, Au bon beurre se boit comme du bon lait ! Un véritable page turner. Il n’a absolument pas vieilli.
J’ai pris énormément de plaisir à le lire.
J’ai également apprécié l’humour pince sans rire de cet écrivain que je ne connaissais pas. Les situations sont parfois cocasses. L’arrivée de Léonie dans la vie de nos heureux crémiers est un de mes moments préférés.
L’immoralité du roman et surtout de cette fin cynique m’a également plu.

Un très bon roman, beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.

Sundernono - Nice - 41 ans - 21 mars 2018


Faire du marché noir pour s’en sortir plus blanc que neige… 5 étoiles

Ironiquement l’auteur nous narre les vicissitudes d’un couple de crémiers pendant cette période trouble qui ne manquait pourtant pas d’occupation. Alors que ces temps sont souvent qualifiés de sombre, là au vue de cette lecture on rit plutôt jaune, par le discernement déployé par les Poissonard à honorer le genre humain. Et force est de constater à cette lecture, qu’aujourd’hui encore plus qu’hier, seul l’argent donne le pouvoir et domine les idéaux. Et pour ceux qui croient encore à l’intelligence de cœur, ils en seront pour leur frais !
Et même si j’ose écrire, que ce couple aurait mérité au moins un œil au beurre noir, je n’ignore pas qu’actuellement, ils sont nombreux dans le même genre à voir la vie en rose.

Pierrot - Villeurbanne - 72 ans - 18 octobre 2014


Dégout ? 10 étoiles

Que peut-on éprouver devant cette ignoble famille de "français moyens" qui a eu le bon goût (!) d'exercer la profession de crémier quand le besoin en était criant ...?
Répugnant, sans morale aucune, opportuniste jusqu'au bout, ce couple ignoble existe avec sa réalité, son sentiment de vivre dans un monde difficile dont il faut tirer le meilleur parti, envers et contre tout.
Renégat, cruel envers le faible, rampant envers le dépositaire du pouvoir, capable de s'adapter à tout, c'est une image de déchéance de l'humanité qui nous est offerte : mais hélas, une image réaliste du côté sordide de l'être humain.
Le pire n'est-il pas dans le fait que, malgré ses innnombrables exactions, ce couple s'en tire, haut la main, dans l'épisode bourbeux d'après guerre ?
Un livre qui fait mal mais qu'il faut savoir regarder en face !

DE GOUGE - Nantes - 68 ans - 5 septembre 2012


Salopards de Poissonard. 10 étoiles

Jean Dutourd qui nous a quitté il y a peu, n'évoquait à la vérité pas grand chose pour moi. Je savais qu'il était académicien, donc inatteignable et qu'il participait fréquemment aux " Grosses Têtes " de Philippe Bouvard sur RTL, station périphérique très populaire.
C'est l'actualité de sa mort qui m'a poussé à lire un de ses livres. " Au bon beurre" m'a semblé le plus emblématique et surtout le sujet m'inspirait.
Nous sommes au coeur de la seconde guerre mondiale, la France est occupée, soumise.
Jean Dutourd s'empare de la vie d'un couple de crémier pour bâtir son histoire.
Les Poissonard sont de petits commerçants crémiers au coeur de Paris et vont profiter de la période d'occupation pour se faire du beurre bien gras.
Il n'y aura aucune limite à leur cupidité, leur mercantilisme et leur déshonneur.
Dénonçant aux autorités les suspects, filoutant en coupant le lait, leur cupidité n'a pas de limite et ne se froisse pas de leur immoralité.
Car sous cette occupation, bon nombre de français se sont pliés, ont courbé l'échine, mis le genou à terre. Peut-on les juger à l'aune de notre époque ? Il en fallait du courage pour résister, s'opposer et combattre.
S'il ne s'agissait que de plier l'échine on n'en aurait pas voulu aux Poissonard. Mais ils bombent le torse, retroussent les manches pour exploiter la situation politique et en tirer profit. Tout est bon, le marché noir, l’exploitation des employés, la dénonciation.
Jean Dutourd donne une dimension de Thénardier aux Poissonard dans le long chapitre dont Josette l'employée est l'épicentre. De Josette à Cosette il n'y a qu'une lettre, mais Jean Dutourd rend habilement hommage à Hugo tout en étayant la dimension de salauds des Poissonard.
Salopard on a envie de les appeler.
Durant toute la guerre, ils vont allégrement amonceler les millions, s'enrichir, accroître leur patrimoine meuble et immeuble.
La rencontre avec Pétain est superbe de réalité et de fantasmagorie.
On s'attend à une justice, humaine ou divine, même pas.
Par un retournement de veste magnifique, les Poissonard parviennent à passer pour d'honorables résistants, ah ! l'opportunisme.
Les Poissonard auront été de ces gens qui se seront fait du beurre sur la misère du monde et que rien n'aura dérangé, surtout pas leur conscience.
Combien sont-ils ces Poissonard ? Où sont-ils ?

Un livre agréable à lire, révoltant, édifiant sur cette méchanceté qui se passe tous les jours s'en que l'on s'en rende compte, sournoise. Un livre écrit en 1952 et qui a dû déranger à l'époque.

Je sais que Jean Dutourd a été décrié, mais " Au bon beurre " mérite vraiment la lecture.

Hexagone - - 53 ans - 15 mai 2011


Ironie cruelle et joyeuse 10 étoiles

Au Bon Beurre se passe au temps de l’occupation allemande et le héros de l’histoire est le prototype par excellence, de ce qu’on appelait autrefois, le profiteur de guerre : un crémier.
Un crémier tricheur, voleur, collaborateur et opportuniste à souhait, « parce que les temps sont durs, n’est-il pas, et que chacun doit bien tirer son plan... »

Les personnages qui défilent dans ce roman sont des prototypes, à la limite de la caricature, mais ils sont croqués avec une ironie et une cruauté extraordinaire.
Ce roman a été écrit à la fin de la guerre et on comprend qu’il ait suscité quelques
remous : un peu trop de contemporains s’étaient reconnus et n’étaient pas très fiers.
Mais si ces personnages sont sordides et mesquins, au point qu’on les prendrait en pitié, le bon Jean Dutourd est là pour nous rappeler que la vie est une comédie dont il vaut mieux rire que pleurer.

Jean Dutourd s’est amusé à nous produire un petit régal d’humour cruel ; il a toujours tapé juste et par moments, il est carrément désopilant.
Mais il n’y a pas de jugement dans ce roman, pas de morale non plus ; tout juste cette philosophie, qui fut celle de Jean Dutourd pendant toute sa vie : mieux vaut en rire !

Un livre très divertissant, d’une allègre cruauté, facile à lire, parfaitement écrit, et à mettre dans toutes les mains.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 11 février 2011