Nuage et eau
de Daniel Charneux

critiqué par Kinbote, le 15 août 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Une vie de Ryôkan
Si dans son précédent ouvrage (Norma, roman), pour lequel il a reçu le prix Plisnier, Daniel Charneux avait pris quelques licences avec le personnage de Marilyn Monroe (en l’imaginant vivante aujourd’hui), ici, c’est à une peinture « réaliste » du parcours de Yamamoto Eizo, de son nom de moine Ryôkan (qui veut dire « bon et bienveillant »), qu’il s’est attaché sans toutefois s’interdire, comme il l’écrit en substance dans une note explicative, des libertés relatives et en accord avec les faits connus de la vie du moine poète.

En 81 courts chapitres, l’auteur égrène l’existence de cet homme, aîné d'une famille de sept enfants, promis très tôt à prendre la relève de son père en tant que myoshu (maire et collecteur d’impôts) dans le Japon impérial du XVIIIème siècle mais qui, doté d’un tempérament fragile et sensible, choisira plutôt, dès l’âge de 17 ans, de devenir moine et suivre la Voie, dans la tradition zen du Maître Dogen.
Après une enfance et une adolescence passées dans l’ombre d’un père partagé entre sa tâche et son goût pour la poésie (« Tashibana Inan était un homme important, écrit Charneux, mais il avait un grand défaut : il était poète »), il reçoit l’ordination et suit un apprentissage qui le conduira dans "une succession de maîtres", « comme ces poupées russes dont chacune en cache une plus petite », en refusant toujours les honneurs avant de devenir moine errant, unsui (nuage et eau), puis de s’établir dans un ermitage « entre ciel et mer » où il vivra pendant plusieurs décennies de mendicité et de poésie, au milieu d’enfants et des oiseaux, occupant une partie de ses journées à la calligraphie et à la méditation.

Le récit est ponctué d’épisodes tantôt amusants tantôt touchants (les poux sur la poitrine, le vol dont il est victime, l’incendie de son abri…) et de références à l’enseignement du Bouddha mais qui ne prennent jamais le pas sur la narration tout en plaçant le lecteur en spectateur privilégié de l’itinéraire spirituel suivi par le pratiquant Ryôkan. Daniel Charneux nous installe au cœur de la conscience de son personnage, faisant partager, de manière égale, ses souvenirs, ses doutes, les errements propres à toute étude, les douleurs de toute existence, jusqu’à ses émerveillements devant une rose, les divers aspects de la lune ou le lancer d’une balle de chiffon dans les airs. Autant d’anecdotes et d’émotions qui nous imprègnent comme si nous les avions vécues.

L’auteur propose son rythme au lecteur, ni trop lent, ni trop rapide : limpide. Comme calqué sur celui du souffle du méditant zen. Il nous porte à la pointe de la sensation et des états d’âme de cet homme, souvent gauche dans la vie quotidienne, qu'on traitait volontiers de Grand sot, qui a tout quitté pour chercher à se trouver en cheminant sur la Voie et qui, régulièrement, revoit le frère qui a suivi un parcours semblable au sien et qui le rattache à son enfance, à ses parents disparus. Surtout Daniel Charneux parvient à faire entendre une voix aux multiples résonances.

Ryôkan a près de septante ans quand il rencontre la moinesse Teishin, de quarante ans sa cadette. Avant qu’on assiste à leur rencontre, l’auteur a pris soin de nous présenter la jeune femme à diverses étapes de son existence, dans des chapitres judicieusement distribués. Et, comme dans l’Eveil qui, dit-on, ne s’ancre durablement dans l'esprit du pratiquant que s’il a longtemps été médité, travaillé etc., cette rencontre d’une infinie délicatesse, axée sur l’écrit et l’échange, nous touche d’autant plus qu’elle a été habilement amenée. Alors que cette rencontre survient au chapitre 68, on a l’impression que l’action se dilate ensuite, que le temps prend de l’ampleur; les chapitres se font plus lents, plus longs, avec les poèmes – retraduits par l’auteur par souci d’harmoniser l’ensemble du texte - ainsi que des mesures de cette nouvelle durée romanesque, et comme pour permettre au moine de profiter avec sa compagne de ses derniers jours de sérénité, de plénitude.

Certains auteurs ont écrit leur meilleur livre en se mettant dans la peau d’un personnage historique, par pudeur, par souci de ne se livrer que masqué. Il semble que, à l’instar par exemple de Dominique Fernandez avec Pasolini, Quignard avec M. de Sainte-Colombe, Mertens avec Gottfried Benn ou, bien sûr, Yourcenar avec Hadrien, Daniel Charneux ait trouvé, à se couler dans les atours du poète japonais, la mise la mieux à même de livrer l’essence de lui-même, de sa manière et, qui sait, de son âme.


A noter que ce roman est sélectionné pour le Prix des Lycéens 2008-2009, organisé par la cellule “Culture - Enseignement” de la Communauté française de Belgique.
Balade au fil d'une vie. 10 étoiles

Je referme ce livre et je reste dans cet univers. Suis calme et détendue. Merci de ces bienfaits monsieur Charneux.

Bafie - - 62 ans - 8 avril 2010


« Quelques ricochets à la surface de l'eau » 8 étoiles

«Qu'est-ce donc que nos vies, sinon quelques ricochets à la surface de l'eau?». C'est sur cette interrogation que se clôt ce très beau récit sur la vie d'un moine zen dans le Japon à l'époque des Shogun.

Ce livre parle bien sur de bouddhisme et de Zazen, et à travers les métamorphoses ou nouvelles naissances d'un moine, il nous permet, au lecteur non-averti, de découvrir cet univers. Ce moine, personnage exceptionnel, a réellement existé, apprend-on dans la postface.

J'ai été enthousiasmé par ce récit que j'ai lu très vite, car il me passionnait, et il m'est resté longtemps en tête. L'auteur raconte une histoire, avec un grand talent de conteur, crée un personnage attachant, qui devient notre ami, et en même temps l'auteur nous interpelle en nous faisant découvrir une philosophie et un mode de vie à mille lieues de notre mode de vie Occidental. Les aspects "roman" et "spiritualité" s'équilibrent de manière subtile. L'écriture se fait par moment très poétique. J'ai beaucoup aimé les évocations des arbres, les cerisiers en fleurs, les feuilles rouges des érables en automne.

Comme le dit un critiqueur, il y a vraiment quelque chose d'aérien dans ce livre.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 20 juin 2009


Vie et mort de Ryôkan. 7 étoiles

« Ce roman retrace librement la vie du moine bouddhiste zen japonais Ryôkan (1758 -1831). Les évènements « réels », tels en tout cas qu’ils apparaissaient dans les biographies, y alternent avec des épisodes « fictifs » tirés de l’imaginaire de l’auteur. »
Tiré de « Note de l’auteur », on ne saurait mieux décrire la philosophie de ce « Nuage et eau » : « unsui ». Une « biofiction » en quelque sorte. Une biographie revisitée au fil de l’imaginaire de l’auteur ou un roman ancré dans des éléments de biographie avérés.
Daniel Charneux, on le sait, n’est pas japonais. L’aisance avec laquelle il se coule, pour autant, dans ce monde extrême-oriental et ces mœurs bouddhiste zen, n’en est que plus confondante ! Je dois avouer que c’est quelque chose qui m’est impensable, surtout quand, comme ici, on ne crée pas une pure fiction mais une « biofiction », vous obligeant par essence à être le plus rigoureux et respectueux possible de la réalité. Je n’ose imaginer la somme de documentation préalable que ceci dût nécessiter. (Autre explication, mais peu rationnelle ; Daniel Charneux serait une réincarnation de Ryôkan !)
On y retrouve le style de Daniel Charneux ; fluide (au sens de l’eau qui contourne les obstacles), propre et sans déchets, poétique le plus souvent, lumineux …

« De jour en jour, il se sentait décliner, pitoyable, assistant impuissant à la métamorphose.
Déjà, le visage rose était devenu gris, les sourcils noirs avaient blanchi, la peau s’était ridée, fripée. L’échine s’était voûtée ainsi qu’un arc tendu. Les oreilles encombrées de poils bourdonnaient toute la nuit ; le jour, les yeux voyaient voltiger d’obscures étoiles. Il peinait à s’asseoir, souffrait à se lever. Depuis le dernier petit voyage à pied avec Teishin, il avait encore perdu en mobilité, marchait péniblement, même appuyé sur sa canne. Elle était bien révolue, l’ époque des pélerinages, quand il sillonnait sans cesse les routes en moine itinérant, unsui, nuage et eau.
Il se sentait gagné par un grand froid qui le figeait, le glaçait, branche sous la gelée blanche, et le printemps n’arrangeait plus rien. Le renouveau était pour les oiseaux, pas pour lui qui les aimait tant. Le renouveau était pour les enfants, plus pour l’ami qui avait dû abandonner leurs jeux. »

Et donc Daniel Charneux nous fait défiler la vie de Tachibana Eizo, qui prendra une fois moine le nom de Ryôkan, de sa naissance à sa mort dans une pure linéarité. Mais il ne s’agit pas d’un simple récit d’une vie. Il insère des éléments en apparence anodins, poétiques à coup sûr, pour nous amener à comprendre l’éveil de la vocation puis la foi du moine bouddhiste zen. Entreprise des plus délicates, on l’admettra. C’est que Tachibana Eizo était plutôt destiné à un avenir plus … séculier : « myoshu », qui, on nous l’explique, dans l’administration des shoguns remplissait les offices de maire et de collecteur des impôts. Daniel Charneux parvient donc, en quelques chapitres spécifiques à suggérer le détournement d’Eizo de ce destin vers celui de Ryôkan, celui de moine.
Il y a du Saint François d’Assise dans ce Ryôkan là !
On pourrait craindre que ce genre d’ouvrage n’intéresse potentiellement que les amateurs d’extrême-orient, de ses philosophies … Eh bien non, Daniel Charneux transcende le sujet pour en faire une histoire de portée humaine, humaine au sens genre humain !
Sérénité, humilité, transparaissent à chaque détour de l’œuvre. Et signalons les traductions - interprétations (?) des nombreux haïkus de Ryôkan dont Daniel Charneux parsème le récit. L'impression que "Nuage et eau" n'a pas dû être son roman le plus facile à écrire ?

Tistou - - 68 ans - 15 juin 2009


Un regard sur ce qui est vraiment important dans la vie 9 étoiles

Daniel Charneux, passionné aussi par la poésie des Haïkus, mène le lecteur sur les voies de la sagesse orientale. Il fait revivre Ryokan, un moine bouddhiste zen du XVIIIème siècle. On le suit de l’enfance à sa mort, Tachibana Eizo, fils de Tachibana Inan qui prendra le nom de Fumitata avant celui de Ryokan. Une vie simple, très proche de la nature qu’il respecte et exalte. Au fil des années, l’élève studieux à l’écoute de ses maîtres devient ce moine érudit, poète itinérant, mendiant sa pitance, passant de longs moments de contemplation en position zazen. L’âge aidant, il se retire dans son ermitage de Gogoan. Vers la fin de sa vie, il rencontre Teishin, une moniale poétesse. Elle voit en lui le père, le frère, l’ami, le mari.
Toutes les facettes de la personnalité littéraire de Daniel Charneux se dévoilent dans ce roman : narration, description, poésie. Sans jamais lasser : plongé dans ce monde plutôt méconnu qu’est le Japon et séduit par les enseignements de sagesse du bouddhisme, le lecteur se laisse prendre à rêver d’exotisme au rythme lent et apaisant des haïkus et autres poèmes.

Ddh - Mouscron - 83 ans - 26 novembre 2008


Pudeur et sensibilité 8 étoiles

Article minutieux et complet que celui de Kinbote... Parler davantage du livre est difficile. Parler du sentiment de clarté, de cohérence entre l'auteur et son sujet, de fluidité, de sérénité qui vient s'insinuer à la lecture de "Nuage et eau" est plus juste.
Un solitude pleine du monde, la rencontre avec Teishin à un moment clé de la vie sans doute, l'approche du bouddhisme et de la poésie comme un tout.
Un moment lumineux de lecture empli de pure clarté.

Bluewitch - Charleroi - 45 ans - 9 novembre 2008


Complètement aérien... 10 étoiles

...et je n'ai pas encore tout à fait atterri...
...merci, monsieur charneux, de faire respirer vos lecteurs...

CM

Colonel moutarde - - 46 ans - 22 octobre 2008


La pratique de zazen 10 étoiles

Bien entendu, Kinbote, le biographe en titre de Daniel Charneux, m'a précédé d'une demi-longueur, mais qu'importe puisqu'il a écrit, mieux que je le ferais, tout le bien que je pense de ce dernier roman de D. Ch. !

J'ai particulièrement apprécié la fluidité des phrases, la souplesse dans l'expression, la qualité des images, le vocabulaire très riche.

L'auteur décrit avec précision et avec minutie les situations de zazen, il fallait, en effet, que l'auteur soit aussi un pratiquant de cette méditation pour parvenir à cela.

Tous les haïkus et tous les poèmes de Ryôkan et de Teishin qui figurent dans ce roman ont été réécrits avec succès par l'auteur.

Ce roman pose de nombreuses questions au lecteur, questions relatives plus spécifiquement à la philosophie, à l'amour ; c'est pourquoi le sujet traité devrait intéresser les grands ados et les surprendre ; un public plus large trouvera son plaisir dans la lecture de ces pages de qualité. M.P.

MOPP - - 87 ans - 15 août 2008