Modulations : Une histoire de la musique électronique
de Collectif

critiqué par Numanuma, le 12 août 2008
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Sculpter le son
Et si la platine vinyle était un instrument à percussion ? Voila peut-être la phrase qui m’a le plus interpellé en ce sens qu’elle porte en elle la réconciliation entre deux camps : les tenants de l’instrumentation acoustique comme seule digne de ce nom et les fanas de l’électronique pour qui claviers et ordinateurs sont des instruments à part entière.
Comme toujours chez Allia, le texte est d’une grande qualité, les divers auteurs sont des pointures dans leur domaine et l’ensemble est absolument passionnant et émaillé de nombreuses interviews et citations. Un petit bémol tout de même. C’est souvent le cas avec les spécialistes, l’ouvrage est parfois désespérément « sérieux ». Je veux dire par là que certains chapitres manquent de flamme et de passion tout en étant remarquables de précision. Ce n’est là qu’un détail tant l’ouvrage est proche de l’essai, genre peu porté sur les envolées lyriques. D’autres sont portés par un souffle et on sent que l’auteur n’est pas juste un pro mais d’abord un fan.
Mais revenons à l’essentiel. Le livre s’ouvre une introduction de Peter Shapiro : les musiciens électroniques, par leur approche particulière, ont tiré la musique occidentale au-delà de ses habitudes séculaires en créant leur propre univers musical hors de portée des contraintes du solfège.
S’en suit une brève chronologie. Le premier chapitre est consacré aux pionniers et, surprises, ils sont majoritairement européens. Pierre Henry et Pierre Schaeffer sont français, Stockhausen allemand, Xenakis grec. Ce sont les français qui sont à l’origine de la création de la musique concrète, première tentative d’élargissement du spectre des sons disponibles (klaxons, crissements…). Aussi élitiste que cela puisse paraître, l’influence de leurs travaux fut grande, sur Edgar Varèse par exemple qui aura un peu plus tard un fan reconnaissant en la personne de Franck Zappa. Avec Zappa, on voit l’influence d’expérimentations sonores dans la France d’après-guerre gagner les studios de rock américains. Mais ce n’est pas là que l’on retrouve le plus ce désir d’aller de l’avant mais encore en Europe avec le Krautrock, mouvement principalement allemand grâce à des groupes comme Neu, Can ou Ammon Duul. Le Krautrock associe discipline stricte et liberté absolue, fusion du rock psychédélique, du jazz , des rythmiques funk, de musique ethnique et des travaux électroniques d’avant-garde de Stockhausen. Ajoutons à cela l’élément peut-être essentiel : une sensibilité et une culture européenne, voire strictement allemande assez difficile à définir, « un mélange de Dada, de LSD et de philosophie zen ».
Au bout de ce voyage, il y a un groupe qui fait véritablement le lien entre le rock et la dance musique électronique, c’est Kraftwerk grâce à son utilisation innovante et systématique du synthétiseur.
Je ne vais évidemment pas résumer tous les chapitres un à un, d’abord parce que cela serait beaucoup trop long et ensuite parce que cela serait d’un chiant absolu. Cependant, ce n’est pas pour rien que je n’ai parlé que de deux premiers chapitres : ils sont fondateurs. Et quand Kraftwerk passe par les oreilles du jeune Derrick May, il y voit tout de suite le futur de la musique : Georges Clinton + Kraftwerk = techno.
Le reste de l’ouvrage aborde diverses périodes musicales (disco, post-punk…) avant d’amorcer le virage House au chapitre 5. A partir de là, les styles techno défilent avec leur histoire, leurs caractéristiques, leurs stars et leurs défauts.
Mais le plus intéressant est que, malgré l’apprêté de certains chapitres, comme je l’ai évoqué plus haut, j’ai eu envie d’écouter. Pas tout bien sûr, je reste largement réfractaire au rap mais dans le mouvement hip-hop, le rôle du DJ est tellement important qu’il serait bon pour ma culture que je me procure les albums des précurseurs du genre. De même, tous les chapitres étant précédés d’une discographie sélective, je sens que mon compte en banque va souffrir tant le nombre d’artistes qui ont éveillé pour intérêt est grand.