Les cloches de Bâle
de Louis Aragon

critiqué par Débézed, le 6 août 2008
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
"Les cloches parlaient de cela aux nuages"
« Les cloches de Bâle » est le premier élément d’un cycle de trois volume intitulé « Le monde réel » dans lequel Aragon affirme et démontre son appartenance au mouvement réaliste et plaide pour la cause de ceux qui sont exploités et massacrés. Ce premier ouvrage est « animé » par trois femmes Diane, Catherine et Clara. Diane c’est une survivance de l’aristocratie qui n’a plus que ces titres et les ruines de son château à monnayer pour conserver son train de vie et pouvoir paraître encore et attirer l’argent des autres. Mais, à ce petit jeu où l’on court la dot, on risque de tomber sur un parti pas forcément recommandable.

Et, après cette première partie, Elsa lui dit : « Et tu vas encore continuer longtemps comme ça ? » Et le changement fut radical. L’immoralité romantique de Diane devint l’amoralité anarchiste de Catherine, jeune géorgienne mal aimée par sa mère qui lui préfère sa sœur aînée sur qui repose l’espoir de faire un beau mariage qui sauvera la famille des aléas des virements envoyés trop irrégulièrement par le père qui prospecte le pétrole à Bakou. Frustrée par sa mère, Catherine fait très tôt connaissance avec le prolétariat, ses conditions de vie et ses luttes. Elle assiste même, impuissante, à une répression sanglante d’une grève des horlogers de Cluses qui laisse des morts sur le carreau, marque définitivement son esprit et lui fera chercher refuge auprès des anarchistes. Mais la maladie incurable, hypothéquant sa vie à brève échéance, et des suicides dans son entourage la rendent encore plus dure et plus volontaire dans son combat pour défendre les femmes. « Elle aurait des amants tant et plus. Ce n’était pas la mort qui pouvait la dégoûter de la vie. Et chaque minute de ces deux ans-là serait un défi à l’ordre qu’ont inventé les hommes. » Mais au moment où elle est tentée de fuir sa propre vie, survient Victor, le vrai prolétaire qui a connu toutes les misères, qui milite au sein des syndicats et du parti socialiste et qui participe activement à la grève des taxis de 1912 où il l’entraîne. Mais désabusée par les manigances et autres manipulations des affairistes, responsables politiques et autres personnages influents, elle se retire dans sa villa de Berck d’où elle suit le conflit avec attention. Aragon donne de celui-ci un compte-rendu très détaillé avec toutes les explications nécessaires pour bien comprendre toutes les manipulations des patrons et des gouvernants pour laisser pourrir ce conflit qui s’emmêle dans les exploits de la bande à Bonnot et dégénère dans la violence la plus confuse.

Clara qui n’est autre que la fameuse Clara Zetkin, n’intervient que dans l’épilogue qu’elle éclaire de ses yeux magnifiques qu’Aragon chante comme il a chanté ceux d’Elsa. Dans cet épilogue qu’il consacre au Congrès pour la paix de Bâle en 1912, il montre toute l’impuissance des militants de la cause de la paix malgré leur forte mobilisation, leur motivation, leur foi en leur cause et le lyrisme de Jaurès qui en appelle à Schiller « j’appelle les vivants, je pleure les morts et je brise les foudres » mais il sera la première victime des va-t-en guerre. Dans cet épilogue, le prosateur rejoint le grand poète et se lance dans un vaste réquisitoire contre ceux qui ont voulu la guerre et assassiné des millions de jeunes gens qui ne demandaient qu’à vivre. Peut-être est-ce le regard de Clara mais cet épilogue est aussi un plaidoyer à l’égalité des sexes que le socialisme devrait assurer.

Bien difficile de tirer une leçon de ce livre sans avoir lu les deux autres titres de ce cycle mais si le prosateur Aragon n’est pas aussi brillant que le poète, il a tout de même un style assez remarquable surtout quand il quitte la plume du journaliste pour prendre celle du militant en colère. Quelles pages de lecture dans l’épilogue ! Toutefois, avant d’en arriver à cet épilogue, le style paraît un peu trop policé, trop respectueux du lecteur et des règles, trop séducteur pour traduire la brutalité et la vulgarité qui baignent ces grèves et les répressions qu’elles provoquent. Ce roman n’est pas écrit pour faire vivre des grands personnages romanesques mais pour nous convaincre que la cause qu’Aragon défend est la seule qui puisse permettre à l’humanité de vivre en paix et en harmonie entre les peuples et entre les sexes. Sa connaissance des événements, de toutes les affaires et toutes les combines montées en coulisses qui expliquent les diverses exactions qui conduiront au premier grand conflit mondial, est si impressionnante qu’elle alourdit un peu le livre par la montagne de détails qu’elle déverse tout au long du récit. Malgré la défaite, les trahisons, les magouilles et toutes les infamies que le monde a connu au cours de ce prélude à la guerre et même jusqu’à la rédaction de cet ouvrage paru en 1934, Aragon garda l’espoir et la foi en l’homme debout qui combat pour la cause des justes et à Bâle « les cloches parlaient de cela aux nuages. »

Mais le poète savait :

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri

Et, Léo Ferré l’a chanté « Tu ne reviendras pas »
Lecture aride, propos obscur, prose poétique… 6 étoiles

Pour qui ne connait Aragon qu'à travers ses poèmes mis en musique par Brassens, Ferré ou Jean Ferrat, la découverte du romancier est une expérience étonnante.
J’ai lu Aurélien en 1997; sans me souvenir exactement de l’histoire, je retrouve l’impression marquante d’une belle écriture imprégnée de tout le romantisme de cette époque, tout en ignorant qu’il s’agissait du quatrième roman d’un cycle romanesque intitulé Le Monde réel.

En comparaison, la lecture des Cloches de Bâle, premier élément de ce cycle et premier roman de l’auteur, m’a, le moins que je puisse en dire, assez déroutée!
Ne serait qu'en ce qui concerne l'écriture: grammaire approximative et tournures lourdes, à la limite du compréhensible, côtoyant de belles envolées lyriques empreintes de sa merveilleuse poésie.
Mêlant la réalité et la fiction, et quelques données autobiographiques, l'ensemble est dense et je dois avouer avoir survolé certains passages trop obscurs.
L'ensemble pourrait être passionnant, si ce n'était autant daté, et cela même si ce roman écrit en 1934 a été remanié trente ans plus tard. Impossible pour le lecteur non spécialiste de cette époque de l'histoire de s'y retrouver parmi les nombreux acteurs de la vie politique et économique de ce début de vingtième siècle, d’autant moins si ce lecteur provient du Québec!

Ce roman, trop ancré dans l'actualité d'une certaine époque, se perd en digressions vaines et dans un militantisme qui ne réussit pas à véhiculer les espérances de l’auteur, sans doute aussi parce que la suite de l'Histoire démontrera que ces convictions étaient surtout des illusions.
Pour terminer sur une note positive, Aragon clame haut et fort au cours de ces 438 pages ses convictions quant à l'injustice faite aux femmes, qui sont comme l'affirmera l'un de ses plus beaux poèmes: « l'avenir de l'homme».

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 30 mai 2014