Les origines cosmiques de la vie. Une histoire de l'Univers
de Armand Delsemme

critiqué par Bolcho, le 5 novembre 2001
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
Le Big Bang pour tous
Une belle synthèse sur une période « historique » assez longue : du Big Bang jusqu’à aujourd’hui. L'apparition de la matière sous la forme que nous lui connaissons, la formation des planètes, l'apparition de la vie puis de l’intelligence, la possibilité d'autres mondes.
Il n’est pas difficile de trouver des ouvrages sur le sujet, mais il est difficile d’en trouver qui parviennent au bon équilibre entre sérieux scientifique et vulgarisation. Ici, il faut parfois se prendre la tête à deux mains et parfois se résoudre à sauter une page (mais l'auteur nous a prévenu : on peut !) ; sinon, en gros, on suit le propos même sans connaissances scientifiques préalables. C’est tout de même un peu plus difficile que la « plus belle histoire du monde » récemment critiquée par Amourette, mais aussi plus osé sur le plan des hypothèses. Un seul exemple. La probabilité ou non d'une civilisation technique autre que la nôtre dans notre Galaxie. Tout dépend de la longévité moyenne d'une telle civilisation : 10 000 ans après qu’elle devienne capable de communiquer avec des micro-ondes ? Dans ce cas, nous sommes statistiquement seuls. Mais si la longévité est de 100 millions d'années (très optimiste), alors il peut y avoir 10 000 civilisations à une distance moyenne de 600 années-lumière. Reste à communiquer avec les dites civilisations et à s'habituer aux délais d'attente : 1200 ans entre la question et la réponse… Et dans 1200 ans, beaucoup de choses auront changé. La lune, par exemple, se sera éloignée de près de 5 mètres.
Un chef d'oeuvre de la vulgarisation scientifique 10 étoiles

Ce livre est un chef d’oeuvre de vulgarisation scientifique, qui mobilise tous les domaines de la recherche scientifique (cosmologie, physique, géologie, biologie) pour retracer l’histoire de l’univers, depuis le big-bang jusqu’à l’émergence de la vie. C'est pour moi le genre de livres que l'Education nationale gagnerait à inscrire au programme de lecture des lycéens car il apporte les connaissances fondamentales et essentielles à la pertinence des réponses qu'un homme ou une femme d'aujourd'hui peut formuler aux trois fameuses questions fondamentales "Qui sommes-nous ?", "D’où venons-nous ?" et "Où allons-nous ?", que tout le monde se pose au moment de l'adolescence...

Le livre d'Armand Delsemme est un ouvrage absolument remarquable, écrit par un scientifique de haut niveau qui réussit la gageure d’être à la fois extrêmement précis, détaillé et synthétique. Il compose une sorte de somme encyclopédique de l’état des connaissances à la fin du XXème siècle (le livre a été écrit en 1994). Le livre est d’ailleurs totalement impossible à résumer puisque chaque paragraphe est en lui-même une sorte de condensé. Néanmoins, je me permets de vous présenter quelques idées fortes, qui m’ont marqué à la lecture de l’ouvrage :
• L’univers présente une structure fractale, due à la nature quantique de la singularité initiale ; la séparation des forces fondamentales (gravitation, électromagnétisme, interactions nucléaires faible et forte), qui étaient autrefois unifiées, a provoqué l’inflation de l’espace-temps et l’apparition de la matière (sous forme d’hydrogène et d’hélium – la matière formée à l’issue du bigbang est très minoritaire par rapport à l’énergie de rayonnement mais elle est la cause de notre existence) ; les effets de la gravitation ont condensé les variations de densité dues à la fluctuation quantique en superamas de gaz, qui se condensés en se divisant en amas qui se sont eux-mêmes condensés en se divisant en galaxies, comme des oasis éparpillées dans l’immensité du vide…
• L’organisation de l’univers croît à une vitesse exponentielle vers la complexité, en suivant des étapes qui ont mené successivement :
- du big-bang à la formation de trous noirs et d’étoiles super-massives (les trous noirs primordiaux étant à l’origine des quasars, qui sont les objets célestes les plus éloignés et les plus lumineux)
- des étoiles super-massives (composées uniquement d'hydrogène et d'hélium, dites de 1ère génération), qui ont généré tous les atomes lourds (carbone, oxygène, azote, etc.), à la formation des étoiles de 2ème génération (comme le soleil), intégrant des atomes lourds et dotées de systèmes planétaires
- des systèmes planétaires à l’apparition de la vie et à l’émergence d’êtres intelligents, capables de s’interroger sur eux-mêmes et sur les mystères du cosmos.
• La durée de vie des étoiles super-massives de 1ère génération est très courte (elles brûlent tout leur combustible par fusion nucléaire en quelques dizaines ou centaines de millions d’années avant l’effondrement gravitationnel final), ce qui a permis d’essaimer dans l’espace de nombreux atomes lourds ; les étoiles de 2ème génération (comme le Soleil), qui naissent d’une nébuleuse en générant un disque d’accrétion formant également des planètes, ont une durée de vie d’une dizaine de milliards d’années, favorable à des processus complexes tels que l’émergence du vivant
• Tous les éléments nécessaires à la vie, telle qu’elle est apparue sur Terre, sont abondants dans le cosmos, notamment l’eau (sous forme de glace et de vapeur). La chimie organique commence dans l’espace, quand les atomes générés dans les étoiles massives et libérés au cours de l’explosion finale (supernova), s’organisent en molécules sous l’effet du rayonnement ultra-violet des étoiles proches. Les seules conditions spécifiques à la Terre sont celles qui furent nécessaires pour disposer d’eau liquide (ce qui ne fut pas le cas sur Vénus, où l’effet de serre initial s’est emballé jusqu'à une température de surface de 450° environ) et pour retenir l’atmosphère (ce qui ne fut pas le cas sur Mars, dont l’atmosphère s’est évaporée en 2 milliards d’années environ), qui imposent des valeurs limites sur la masse de la planète et sur l’énergie qu’elle reçoit (principalement de son étoile mais également par radioactivité interne ou effet de marée gravitationnel).
• Les conditions initiales sur Terre étaient proches de celles de Vénus, une sorte d’enfer de lave en fusion écrasé par une lourde atmosphère de CO2. Le bombardement cométaire (essentiellement dû aux perturbations des trajectoires par les planètes géantes Jupiter et Saturne) et la distance au soleil ont permis l’apparition d’eau liquide, puis d'océans très chauds où la vie est apparue rapidement (quelques centaines de millions d’années après la fin du bombardement cométaire). L’apparition de la vie, qui est resté pendant deux milliards d’années sous la forme d’êtres monocellulaires, a profondément modifié l’équilibre global de la Terre, en piégeant progressivement le carbone du reliquat de CO2 qui n'avait pas été précipité par les pluies acides et en libérant de l’oxygène, qui a formé de l’ozone protégeant le sol des rayonnements UV du soleil. Dès lors, la vie s’est emballée, en se complexifiant (apparition des cellules eucaryotes dotées d’un noyau, qui ont donné naissance aux plantes et aux animaux) puis en se diversifiant grâce aux mutations engendrées par les erreurs de réplication du code génétique et les mécanismes de la sélection naturelle. L’évolution des espèces a été fortement accélérée par la reproduction sexuée, qui multiplie le brassage génétique.

Malgré la prudence de Bolcho dans sa critique principale, l’ouvrage est accessible à tout public motivé (sans sauter de pages !) même si la densité des thèmes abordés peut rendre la lecture ardue pour un lecteur novice, qui risque de buter à chaque page sur des connaissances nouvelles. Idéalement, il faut avoir préalablement assimilé la vulgarisation très grand public (type « Patience dans l’azur » ou « Poussières d’étoiles » d’Hubert Reeves) et/ou avoir un niveau type terminale scientifique, notamment pour bien comprendre les mécanismes de biologie relatifs au fonctionnement des cellules vivantes, qui sont détaillés par l’auteur pour expliquer la transition du minéral vers le vivant. C’est pour moi la partie la plus complexe du livre, qui évoque la chimie de non-équilibre étudiée par Prigogine et les cycles d’Eigen, dont les réactions auto-catalytiques en boucle rétroactive sont considérées comme à l’origine de l’apparition du vivant à partir des composants (eau, molécules de chimie organique, etc.) apportés par le bombardement cométaire des planètes rocheuses (Mercure, Vénus, Terre, Mars) pendant le premier milliard d’années du système solaire.

Néanmoins, l’auteur ne se contente pas de présenter les connaissances acquises au cours des dernières décennies ; il prend également position, notamment dans la dernière partie où il livre ses réflexions personnelles sur les fondements théoriques de la physique quantique et leurs conséquences conceptuelles (que ce soit sur la possibilité du libre arbitre ou sur celle des univers parallèles), sur la nature du temps (l’auteur reprend le concept de Feynman selon lequel une antiparticule est une particule qui remonte le temps et cautionne les hypothèses de Hawking, qui identifie le temps à une dimension spatiale au début de la singularité initiale), sur la possibilité de la vie ailleurs dans l’univers (très probable selon l'auteur) et sur les principes anthropiques faible ou fort, sans éluder la problématique d’un possible créateur (sa présentation en quelques lignes de l’évolution du sentiment du divin dans la Bible est d’ailleurs remarquable).

L’auteur ose même quelques réflexions de futurologie prospective sur l’avenir et le développement de l’humanité. La durée de vie moyenne d’une espèce biologique, constatée sur l’arbre phylogénétique, est de 6 à 8 millions d’années, ce qui serait très suffisant pour permettre à l’humanité d’essaimer à travers la galaxie et de coloniser la quasi-totalité des systèmes planétaires de la Voie lactée. Néanmoins, la plupart des scientifiques semblent considérer que les êtres intelligents accèdent trop rapidement à la maîtrise de forces dangereuses pour leur survie et finissent sans doute par s’auto-détruire. Armand Delsemme (dont la pensée, sur la nature de l’intelligence et sur les dangers intrinsèques qui menacent l’humanité depuis que la compétition des cultures et civilisations a supplanté les mécanismes d’évolution par la sélection naturelle, me semble proche de celle de Konrad Lorenz telle que je l’avais présentée il y a quelque temps sur CL avec les « 3 essais sur le comportement animal et humain ») pointe deux principaux risques :
• le niveau d’armement (notamment l’armement nucléaire), qui est aujourd’hui susceptible de transformer les rivalités humaines en conflits exterminateurs
• l’effet de serre généré par la libération massive et rapide (en quelques siècles) du carbone accumulé sur des centaines de millions d’années, ce qui peut provoquer un emballement de l’autorégulation climatique de la Terre et rendre la planète inhabitable

Malgré tout, pour ne pas conclure son livre sur une note trop pessimiste, l'auteur évoque son émerveillement face à la beauté et aux mystères insondables de l'univers, et ses interrogations sur le sens de son évolution. Même s'il ne l'avoue pas explicitement, il me semble que la pensée de Delsemme rejoint celle de Teilhard de Chardin, qui voyait dans l'histoire de l'univers une ascension continue vers la complexité, concomitante d'une spiritualisation croissante de la matière...

Eric Eliès - - 49 ans - 25 octobre 2016