Pèlerinage au Louvre
de François Cheng

critiqué par Jlc, le 2 août 2008
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La beauté d'un regard
Le Rat des Champs a déjà dit ici même tout le bien qu’il pensait de François Cheng et plus particulièrement des ses « Cinq méditations sur la beauté ». Avec « Pèlerinage au Louvre », ce grand écrivain passe, en quelque sorte, de la théorie à la pratique. Pèlerin au sens tout à la fois d’étranger et de voyageur, il explique, dans un touchant texte introductif, son parcours, de sa culture originelle - la calligraphie « art à la fois musical et visuel »- à la peinture européenne. Le choc de la découverte de la Renaissance italienne va le guérir de cette « mélancolie nostalgique » engendrée par l’exil pour devenir, petit à petit, ce « pèlerin de l’Occident ». On retrouve les thèmes abordés dans les méditations : la connaissance de l’autre qui passe par l’humilité, la patience, l’ouverture d’esprit, la conviction de transcender son destin. En « métisse culturel », pour reprendre la belle définition du Rat, Cheng établit un pont entre la Renaissance occidentale et le « mouvement artistique tout aussi fiévreux »qu’a connu l’art chinois après l’assimilation du bouddhisme, entre le huitième et le treizième siècle. Avant d’oser imaginer Cézanne en « lien de jonction » entre les grandes traditions, chinoise et occidentale.

Pour chacun des tableaux du Louvre qu’il a choisis, de Cimabue à Turner en passant par presque tous les grands maîtres de la peinture européenne, François Cheng a écrit des textes concis qui sont moins des commentaires qu’une approche de l’œuvre fondée sur une culture exceptionnelle et le regard adouci d’un humaniste. On ne discutera pas son choix qui est, par définition, subjectif. C’est celui d’un artiste qui sait regarder et nous donner à aimer. Ainsi, je ne m’étais jamais vraiment arrêté devant les tableaux de Watteau. Mais ce que Cheng écrit sur le « Pèlerinage à l’île de Cythère » m’a fait voir cette peinture d’une toute autre façon où l’amour hésite entre « le désir et le rêve ou le souvenir et la nostalgie ».
Devant Botticelli, cette pensée : « La vraie beauté n’est pas un avoir…elle est un don de l’être. Plus qu’un état de fait, elle implique aussi désir de beauté et élan vers elle ». Pour la Joconde, il fait appel à Dante pour qui « la bouche et les yeux sont les balcons de l’âme ». Vision unitaire de l’univers vivant où tout se relie et se tient, proche de la cosmologie des Anciens Chinois, le tao. Un vers de Baudelaire « Là où tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté » accompagne « Le concert champêtre » du Titien. Quand Raphaël peint le portrait de Baldassare Castiglione, Cheng y voit « une intelligence lucide teintée d’irrépressible mélancolie ». Devant Chardin il salue en une très belle définition le génie de l’art français. Et son pèlerinage se termine - est-ce un hasard ?- par ce mot de Turner avant de mourir : « Maintenant je rejoins l’infini ».

Si on comparait ce livre à celui de Jean-Luc Chalumeau « Les 200 plus beaux tableaux du monde » dont beaucoup viennent aussi du Louvre, on pourrait dire que Chalumeau commente en brillant historien de l’art quand Cheng écrit en artiste vibrant.

Ce livre ne se dévore pas, il se déguste. Si chaque matin, vous choisissez un tableau, si vous prenez le temps de le regarder en écoutant ce que Cheng vous dit, votre journée en sera embellie.
Au désir du beau et du ressenti 8 étoiles

François Cheng signe avec son "Pèlerinage au Louvre" un livre unique et précieux qui n'effrayera pas les non-initiés aux raffinements de l'histoire de l'art. Il suffit juste de l'aimer (l'art) et d'avoir en soi ce désir et besoin de beauté, une soif du ressenti, qui pour tout dire n'a que peu à voir avec l'intelligence ou la connaissance. Ceci étant posé, posséder un peu de ces deux-là ne nuit pas. Cheng est d'ailleurs un esthète (de Chine), un académicien (de France) et un homme qui sait ce que contempler veut dire. Bref, son leitmotiv et sa démarche sont tout simples: regarder! Ensuite, imprégnez-vous de l'oeuvre ainsi regardée. Seulement après, posez-vous à loisir les questions que provoque en vous la contemplation des oeuvres du Louvre. Voici ce que j'aime chez Cheng: il nous emmène dans son musée, qui est à la fois réel et imaginaire, par la prolongation qu'il crée dans son esprit, et assurément dans son quotidien.

Après une longue introduction aux circonstances qui l'ont conduit à l'amour de la peinture (en partant de celui de la musique et de la calligraphie), Cheng nous entraîne dans les salles des écoles italienne, française, du Nord et enfin celles des autres écoles moins connues. Dans chacune d'entre elles, les grands noms sont évoqués, comme par exemple Vinci et sa Joconde. Un vrai piège, tant on a déjà écrit sur elle. Qu'en pense Cheng? Qu'elle est avant tout une 'présence', et qu'il y a de "l'organique, du vivant" dans ce tableau. Cheng suggère que devant elle, on est saisi par ce sens du vivant, de la célébration du beau, et finalement du mystère de la vie elle-même. Saisissement donc. Il est intéressant de noter que Cheng l'est d'abord par les formes et les rythmes, avant de l'être par la lumière et les ombres. Il parle d'harmonie à propos de "La brioche" de Chardin, mais reste sans voix pour la lumière et la qualité du silence 'Chardien'. Pourtant, visiter le Louvre avec cet érudit, n'est nullement ennuyeux. Je recommande donc ce livre à l'amateur d'art, comme au néophyte, voire à toute personne souffrant d'un préjudice à l'égard de musées d'art. Et pourquoi ça? Allez, c'est très simple vraiment. Au-delà même de la qualité éditoriale du livre (belles reproductions et mise en page impeccable), je suis charmée par l'approche tranquille qu'a Cheng de la beauté. Ici, pas de fausse admiration, de pose intellectuelle, mais un regard curieux et presque amoureux pour l'art. La peinture, oui, mais par ce qu'elle suscite en nous de beau, de vivant.

Glencoe - - 60 ans - 20 novembre 2008