La femme des sables
de Kōbō Abe

critiqué par Bolcho, le 3 novembre 2001
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Une si jolie petite plage...
Un jeune citadin va passer un dimanche à la plage, rate le dernier bus du retour et est hébergé dans une maison du village. Mais quel village !
Les dunes reculent sous l’effet du vent (comme toutes les dunes d’ailleurs) et envahissent les maisons agglutinées derrière. Sauver le village nécessite de lutter contre l’ensablement progressif. C’est ainsi que les habitants passent leur temps à creuser autour de leur demeure pour éviter qu'elle ne disparaisse. Chaque maison est maintenant au fond d'un profond trou de sable, en entonnoir, et il est donc impossible d'en remonter la pente sans une aide extérieure. Notre citadin sera hébergé par une jeune veuve, qui, du fait de sa solitude, a bien du mal à préserver son logement de la menace du sable. Le simple week-end à la mer prend des proportions inattendues.
Si, dans un premier temps, le sable des dunes est bien un accident de la géographie, il devient très vite bien d’autres choses : piège d’abord, bien sûr, mais aussi image même du destin humain. Il faut plusieurs jours ensuite pour ne plus sentir le sable couler autour de soi et pour récupérer l'illusion de sa propre liberté. L’illusion.
Un conte philosophique à lire ... ou relire. 10 étoiles

Heurs et malheurs d’un homme qui, parti à la recherche d’un insecte des sables, échoue dans un petit village perdu au fond des dunes. Il se voit offrir l'hébergement dans une demeure au fond d'un entonnoir de sable, auprès d'une veuve dont l'unique occupation est de désensabler chaque nuit la maison perpétuellement submergée. Piégé au fond du trou de 20 mètres, avec la complicité des autochtones, il doit reconsidérer son existence, méditer sur sa condition antérieure et actuelle.

Conte philosophique d'interprétation multiple. Le sable qui s'écoule, son évacuation sans cesse renouvelée, c'est la condition humaine, sa précarité, la recherche de sa finalité, peut-être aussi une punition tel Sisyphe remontant perpétuellement son rocher.
Vision plus prosaïque, c'est également la nature hostile, la cruauté humaine, l'hypocrisie de la bonne société normative.
Nous suivons tous ces développements subtils dans le lent cheminement intérieur du protagoniste piégé dans un absurde kafkaïen. Petit à petit la vanité de son quotidien, le décalage d'avec sa vie antérieure artificielle s'estompent au profit d'une véritable métamorphose (résurrection ?) qui lui façonne une raison d'être.
Le style (perçu dans sa traduction du japonais), poétique et aérien, soutient et souligne l'évolution psychologique du héros.
Rédigé en 1962, primé internationalement, le roman est un véritable classique que l'on se doit d'avoir lu.

Chakili - Floreffe - 76 ans - 30 décembre 2014


pas le temps d'en faire des châteaux 7 étoiles

Le sable...pour une thématique originale c'en est une! Il s'insinue partout, et surtout dans la vie des habitants de cet étrange village à tel point qu'il en devient effrayant et effroyable. L'ayant lu il y a un petit bout de temps mes souvenirs ne sont pas réellement frais. La vie de ces habitants, dirigés par des autorités supérieures, n'est qu'un cercle sans fin qui fait ressortir les démons de notre entomologiste. Et pourtant cet homme nous semble étrangement familier! Du moins l'est sa vie dans ce trou ensablé qui se referme petit à petit sur ses habitants.
Les intentions de l'auteur ne sont pas toujours claires mais ce qui est sûr c'est que plus l'homme aux insectes essaie de se délivrer de cette condition, de cette oppression exercée par le sable, de son trou, plus il s'y enfonce.

Parasite - Paris - 34 ans - 16 janvier 2010


Excellent livre 8 étoiles

Attention déprimés et suicidaires en tout genre, n'ouvrez pas ce livre !
En effet ce que j'en ai ressenti, c'est que l'homme ne peut sortir de sa condition et que plus il tente d'échapper et plus il s'enfonce (dans le sable).
Toutes les tentatives sont vaines et quand enfin une véritable occasion se présente et bien il renonce et préfère rester dans son état.

Très belle écriture, très juste, ne cherchez pas de Happy end, il n'y en a pas.

Je lirai, mais un peu plus tard, un autre livre de cet auteur.

Bobo - - 65 ans - 31 décembre 2009


Le sable mène à tout ... à condition de savoir en sortir! 9 étoiles

Oeuvre très riche et déroutante. Créativité ; note max. Limite SF sans effets spéciaux. Chef d'oeuvre, je ne sais pas, mais le haut du panier, sûrement. C'est vrai que ça fait penser à la METAMORPHOSE de KAFKA, mais en plus insidieux. On ne finit pas monstrueux ..., mais peut être l'était-on déja avant?

Tistou - - 68 ans - 26 mai 2004


Un chef d'oeuvre effrayant 8 étoiles

C'est vrai que ce livre est un chef d'oeuvre, et il est assez effrayant. On se sent assailli par le sable, qui, on l'apprend dans le livre, est un élément remarquable mais parfois hostile. Et on ne reste pas insensible au destin cruel de cet homme, prisonnier dans une maison avec une jeune veuve, dont la seule activité est de lutter sans répit contre le sable qui menace d'ensevelir la maison.
Une vie parfaitement vaine, anonyme, privée de dignité et de liberté ? Pourtant quand le prisonnier pense à son ancienne situation et à ses rapports sociaux et amoureux d'avant, cela ne semblait pas tellement différent.
Le livre est parfois un peu compliqué, l'auteur nous perd par moment avec de trop longues considérations sociales et philosophiques.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 19 août 2002


L'entomologiste et l'insecte 9 étoiles

Parti en vacances, sans indiquer sa destination, l’entomologiste Jumpei Niki se rend dans le désert à la recherche d’insectes rares. Il arrive dans un village, établi dans une crique, que le sable menace. On lui offre de loger chez une femme, juste à la limite du désert, dans une maison au fond d'un trou de vingt mètres que le sable ne cesse d'ensevelir. Il a tôt fait de découvrir qu’il est tombé dans un piège. Les villageois enlèvent l’échelle et l'empêchent de quitter le trou et la femme des sables. Il est condamné à lutter contre l’avancée des sables qui risque d’engloutir tout le village car leur maison est aux avant-postes. Il faut donc continuellement évacuer le sable. L'adaptation est difficile : « Entre les lèvres et les dents, il avait plein de sable amassé ; et le sable, absorbant la salive, lui envahissait toute la bouche. Sur la terre battue de l’entrée, il se mit à cracher. Mais cracher ne servait de rien. Ce rêche lui restait, qu'il avait dans la bouche ; et sa bouche, même vidée et sèche, il la sentait parsemée de sable encore : tout comme si, lui sortant d’entre les dents, un sable nouveau, sans cesse et sans cesse, se fût reconstitué sous son palais. » Il veut fuir mais toutes ses tentatives échouent. Et quand, à la fin du roman, la fuite devient possible, il choisit de demeurer.
Tous les observateurs ont fait le parallèle entre la situation de Jumpei et les insectes qu’il pourchasse. C'est l'histoire d’un homme qui devient insecte, non dans son corps comme dans la Métamorphose de Kafka, mais dans son mode de vie.
On ne peut éviter de faire un rapprochement avec Sisyphe, avec l’absurde. L'homme et la femme, au fond de leur trou, doivent mener une combat sans fin contre l'avancée du désert. Ici, ce sont les vertus du travail qui donnent à cette répétition un sens : « Aller au-delà du travail de l'homme fait de ses mains, oui, bien sûr. Mais pour accomplir ce chemin-là, il n’est pas d’autre voie que le travail lui-même. (…) Ce n'est que par le travail qu'il est possible de dépasser, de surmonter le travail lui-même. Et, je veux dire, en somme, que de donner à l'homme l'énergie nécessaire pour atteindre au renoncement de soi, c’est cela la vraie vertu du travail. »
Au-delà du travail et de ses vertus, la lutte pour reconquérir une liberté qu'on lui a supprimée, le désir de confondre ceux qui exercent le pouvoir, les liens qu’il tisse avec la femme de sable, la curiosité scientifique que suscite ce milieu inhumain sont autant de raisons qui font que cette vie prend peu à peu un sens.
Ce qui s'annonçait pour Jumpei comme une descente aux enfers, comme une dégénérescence de l’humain vers l’insecte, se révèle au contraire comme un approfondissement dans la découverte de soi : « C'est ainsi que, dans le même temps que le sable s’était métamorphosé à ses yeux, l'homme, parallèlement, était entré en intérieure métamorphose. Et il semblait que, du profond de ce sable, tout ensemble avec l’eau qu'il en tirait, ce fût un autre moi, un moi tout neuf qu’il avait réussi à faire sortir. »
La trame narrative de ce roman est passionnante. Il en va de même pour les personnages. Pourtant, oui pourtant, Abé Kôbô pousse si loin l’analyse, ou si vous préférez l'introspection de son héros, qu’il finit par nous excéder. Est-ce vraiment nécessaire de justifier la moindre petite décision, de mesurer constamment ce qui tient du noir, du blanc, du gris et de toutes les teintes intermédiaires?

Vigno - - - ans - 28 décembre 2001