Le crabe à lunettes
de Xu Xing

critiqué par Débézed, le 15 juillet 2008
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Combien est profond son désespoir !
Le « Kerouac chinois » comme le présente, un peu abusivement, son éditeur sur la quatrième de couverture de ce recueil de cinq nouvelles où il déverse son immense désespoir. « Quand, au bout des alcools et des lumières de ce continent, tu te retrouves dans un crépuscule enivrant et que dans ton cœur il n’y a plus que la solitude, tu ne peux plus avancer. Tu croyais qu’il y aurait toujours bien quelque chose, un infini, qui te forcerait à aller plus loin, qui réveillerait un soupçon de soif pour le mystérieux enfoui au fond de ton âme. Mais voilà, à présent tu sais ce qu’on peut savoir, voilà ce qui reste, pas la peine de te fatiguer, voilà tout ce qui reste et tout ce qui reste est pour toi… »

Xu dépeint la Chine des années quatre-vingt à travers la vie d’un serveur de restaurant qui préfère l’être au paraître, la «road movie» à vélo de deux jeunes chinois qui mesurent l’étendue de la misère du pays, la promiscuité et le manque d’espace dans les logements, l’internement de ceux qui ne pensent pas comme les autres ou ne peuvent pas vivre comme les autres et le désespoir d’un jeune Chinois condamné à la solitude. Mais, « quelle importance ? Et alors ? »

Si Xu trouve son bonheur sur le chemin comme Kerouac trouvait le sien « Sur la route », ce n’est pas le plaisir du voyage dans l’espace et dans les sensations qu’il éprouve mais le besoin de fuir un quotidien trop sinistre car « en chemin le ciel est toujours bleu, la lumière éclatante du soleil découpe toute chose en contrastes aussi nets que noir et blanc. Quoi qu’il arrive, le soleil se lève toujours. Que la terre soit anéantie, et il se lèvera encore ; que je vienne à mourir, et il se lèvera encore ; je suis tombé malade, et il s’est encore levé. Mon existence est tellement infime et débile, jamais je ne serai capable de me protéger…"

Après la révolution culturelle, après Tian an Men, il n’y a toujours pas de place pour les paumés en Chine et Xu contrairement à Kerouac qui s’évadait vers les grands horizons, à l’aventure, au son de la trompette de ces vieux bluesmans qui enchantaient l’Amérique de nos rêves et de nos espoirs, ne trouve, lui, pas d’issue à sa vie « comment voudrais-tu qu’un homme tombé là par hasard, un homme aux joues haves chaussé d’une vieille paire de godasses défoncées puisse continuer à vivre ? » dans un monde où la seule musique présente et celle qu’une vieille folle fait sortir de sa platine.