La cité des permutants
de Greg Egan

critiqué par Gilles Arnaud, le 15 juillet 2008
(Saint Rémy de Provence - 50 ans)


La note:  étoiles
Un monde virtuel métaphysique
La quatrième de couverture qui va suivre veut faire office de résumé à La cité des permutants.

Dans un premier temps, lisez ce qui suit, histoire de continuer à croire en certains repères.

Après, nous verrons.

“En ce début de vingt et unième siècle, les milliardaires qui ont eu le malheur de perdre leur corps ont trouvé le moyen de continuer à exister grâce à des copies informatiques de leurs esprits. Simulations d’eux-mêmes, ils vivent désormais dans des simulations de notre univers. Paul Durham, conduisant des expériences avec plusieurs de ses propres copies, fait une découverte de dimension historique. Tout système suffisament complexe peut exister sans support informatique : il trouve dans la trame de l’univers l’assise nécessaire et peut s’étendre sans limite. Plus besoin de réseaux et d’ordinateurs ; plus besoin, même, de réalité. Durham entreprend alors de créer une cité virtuelle parfaite, Permutation City, où des humains pourront continuer à vivre au-delà de leur mort physique. Éternellement. Il intéresse à son projet quelques milliardaires soucieux de se mettre à l’abris des aléas du monde charnel, en leur proposant un pari pascalien : si ça marche vous serez immortels, si ça ne marche pas vous n’avez perdu que de l’argent.”

Bon. Maintenant, vous avez l’impression qu’il est question d’un livre lambda appartenant au domaine de la science-fiction. Bien. Jetez un coup d’oeil à l’extrait qui suit :

” Peer toucha l’icône appelée CLARTÉ. Dans les douze brèves années réelles de son existence de Copie, il avait essayé d’explorer toutes les conséquences de ce qu’il était devenu. Il avait transformé son environnement, son corps, sa personnalité, ses perceptions, mais il était toujours resté propriétaire de l’expérience. Les manipulations qu’il avait pratiquées sur sa mémoire s’étaient ajoutées sans jamais s’effacer et, quelles qu’aient pu être les changements qu’il avait subi, il y avait toujours une seule personne, au bout du compte, qui prenait ses responsabilités et ramassait les morceaux. Un seul témoin, qui unifiait l’expérience. La vérité était que la pensée d’abandonner finalement cette unité lui donnait une frousse vertigineuse. C’était le dernier vestige de son illusion d’humanité. Le dernier gros mensonge.”

Dans ce passage, l’imaginaire de l’auteur commence à se confondre avec les niveaux de réalité qu’il décrit. Ce n’est que broutille comparé à ce qui vous attend.
La lecture de cet ouvrage est donc dangereuse.
Dans quel monde allez-vous basculer ?
En serez-vous prisonniers ?
Combien de temps les frontières vont-elles s’abolir ?

Greg Egan a écrit ce livre en 1994. Mon année d’entrée à l’Université. Des études supérieures en guise d’électro-choc : découvrir de nouveaux modes de pensée, de nouvelles contrées ouvertes à ciel ouvert à grands coups de fulgurances. Le contraire des exigences requises pour l’obtention du baccalauréat. Bref, en ce temps-là, Egan avait déjà exploré les possibilités des mondes virtuels. Matrix n’était encore qu’un songe ordinaire ; il le restera d’ailleurs.

Notre auteur australien n’est pas un représentant du courant cyberpunk. Les câbles et autres machines du réseau sont déjà, à ses yeux (voire à ses sens ?), des concepts obsolètes. Le niveau d’abstraction qu’il atteint oblige le lecteur à se questionner devant une telle configuration créatrice :

Combien de temps Greg Egan vit-il dans notre plan de réalité ?

Greg Egan est-il une entité organique du présent ?

Gilles Arnaud