Journal intégral : 1915-1941
de Virginia Woolf

critiqué par Sahkti, le 13 juillet 2008
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Virginia presque de A à Z
Lecture de longue haleine que celle du Journal intégral de Virginia Woolf, 1500 pages de bonheur pour l'esprit.
J'avais une légère appréhension en entamant mon voyage aux côtés de l'écrivain, celle d'être peut-être déçue parce que surprise par des considérations futiles ou des histoires de peu d'intérêt, de celles qui émaillent le quotidien et qu'on retranscrit dans son journal parce qu'elles font partie de la vie et puis voilà. Heureusement il n'en fut rien et quand j'y pense, c'est sans doute prévisible venant de la part de Virginia Woolf, elle qui posait son regard curieux et observateur sur tout. A partir d'un détail, elle compose quelque chose de général. L'écriture et la littérature bien sûr, mais aussi l'amour, la vie, l'amour, ses proches, ses amis et ses ennemis. Tout y passe et l'a réunion en un seul recueil d'autant d'années de confidences permet d'apprécier sur du long terme la grande maturité de la plume de Virginia Woolf lorsqu'il s'agit d'analyser le monde qui s'offre à elle. Evolution sociale, avancées techniques, turpitudes d'un univers en crise, comportement de ses contemporains... autant d'éléments qui permettent tant à Virginia Woolf qu'au lecteur d'esquisser un portrait, subjectif et complet, de l'époque qui fut la sienne.
Bien sûr, on y retrouve des considérations d'ordre pratique, du genre facture ou liste de courses, mais tout cela est joliment balayé par les exercices d'écriture de l'auteur et ces feuillets volants qu'elle colle dans ses cahiers lorsqu'elle part en voyage et qu'elle oublie de les emporter ave elle. Ses réflexions sur l'écriture, la sienne et celle des autres, parsèment ce journal, souvent annoté par son mari Léonard, et on y trouve des idées, des ébauches et la naissance d'oeuvres phares de la dame de lettres.

Ce qui m'a frappée dans ce journal, c'est l'amour que Virginia Woolf semble porter à la vie qu'elle croque à pleines dents sur papier. Est-ce le malheur qui l'entoure depuis sa tendre jeunesse ou encore la maladie qui la guette qui lui font prendre ainsi conscience de la richesse de la vie? Possible et cela donne des récits croustillants, tantôt drôles tantôt acerbes, sur ses rencontres, les visites qu'elle reçoit, les expos qu'elle visite, les accoutrements des gens qu'elle croise lors de telle ou telle mondanité et qu'elle dépeint avec le sourire... des apparentes futilités qui lui permettent de se raccrocher à quelque chose, comme un point de repère afin de ne pas sombrer trop vite.
J'ai eu plus d'une fois le sentiment que tout, dans ce journal, n'était pas destiné à être lu. Trop d'intimité et de tourments partagés, trop de fébrilité par moments et souvent de la tristesse, des interrogations, un questionnement permanent que Virginia Woolf entreprend avec elle-même. Pas l'impression de violer un secret, non, mais tout de même le malaise lié au fait de faire intrusion dans le jardin privé de quelqu'un. Il y a la Virginia qui critique et se moque, il y a celle qui se cherche et aussi, surtout, celle qui souffre. Cette dernière est la plus touchante, parce que profondément humaine et dégageant tant de faiblesse qu'on n'a qu'une envie, pouvoir l'aider et la serrer dans ses bras, lui murmurer de ne pas commettre l'irréparable et regretter qu'un certain 28 mars 1941 ait eu lieu. Même si cet acte s'apparente encore et toujours à mes yeux à un acte créateur, celui d'un renoncement afin d'accéder à un autre monde, celui de l'apaisement et, qui sait, peut-être du bonheur.
En regardant, avant de partir, cette dernière phrase "L. est en train de tailler les rhododendrons (24 mars 1941)"... la perfection faite sérénité.