La prise d'Izmaïl
de Mikhaïl Chichkine

critiqué par Débézed, le 9 juillet 2008
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Vue de la Russie au kaléidoscope
Ouf ! Je n’ai pas sombré, je suis sorti indemne, contrairement à ce que prétendent souvent de nombreux critiques en manque d’imagination, de cet indigeste pavé sans chapitre et aux longs passages sans paragraphe (plusieurs dizaines de pages) que je dois maintenant vous présenter. Georges Nivat, sur la quatrième de couverture (l’endos cher à Nance), prévient : « L’auteur au final, est aussi perdu que nous, mis KO par la vie russe, mais sauvé par les mots, et leur conspiration » et l’auteur lui-même raconte comment il a essayé de mettre sa vie sur le papier : « Je me suis mis à écrire le cours de ma vie, mais bizarrement ma plume s’est mise à bégayer. J’ai essayé comme ci et comme ça, j’ai commencé à partir du début, puis de la fin ; quelle que soit la manière dont je m’y prenais, ça faisait nécrologie. J’ai pris un volume sur une étagère, je l’ai feuilleté. Oh ! bonne mère, ce n’était pas un dictionnaire, mais un cimetière. » Et pour finir l’auteur nous livre un épais assemblage de feuilles, dont certaines sont écrites en langue ancienne, qui pourraient provenir de plusieurs romans dispersés par le vent, ou autre moyen, et ensuite rassemblées un peu n’importe comment sans ordre particulier avec le seul souci que les pages aient la même dimension et puissent être réunies en un ouvrage qui puisse se ranger sur les rayons d’une bibliothèque. On se retrouve ainsi avec un mélange d’histoires dont certaines sont très intéressantes, de véritables nouvelles comme la tragique histoire d’amour de Katia et Alexandre, de considérations philosophiques, de descriptions, une séance de dissection d’un cadavre, ou d’explications techniques, comment reconnaître l’effet des divers poisons en consultant les cadavres, etc … Et toutes ces narrations et considérations ont pour cadre la grande et éternelle Russie, de la Sibérie à Saint-Pétersbourg en passant par le Caucase et les plaines d’Ukraine, et même la Côte d’Azur de l’exode, sans ce que les lieux soient clairement définis et que le passage de l’un à l’autre soit explicite.

Mais, « … le sens des mots est précisément dans l’incompréhension, vous savez bien que pour ceux qui se comprennent, les mots sont inutiles,… » « Nous croyons disposer des mots, mais ce n’est qu’une apparence, nous croyons les maîtriser en vertu d’une loi établie par d’autres que nous, comme nous maîtrisons un geste de la main, nos pensées, l’air ou la respiration. En fait, c’est le contraire. C’est la respiration qui dispose de nous. Et c’est la même chose avec les mots. Nous ne sommes que la forme d’existence des mots. »

Si vous vous immergez dans ce livre, vous pourrez tout de même comprendre, à travers tout ça, que la Russie est un beau est grand pays qui n’a jamais connu l’invasion, qui est vierge de toute intrusion mais que la folie des hommes et la rudesse de la nature y ont rendu la vie bien difficile et qu’il est bien peu aisé de juger ceux qui ont pu commettre des fautes, car, il faut bien comprendre que ce livre est écrit par plusieurs auteurs qui seraient pour la plupart des hommes de loi, accusateurs ou défenseurs selon les cas. Une vision bien pessimiste de la Russie à travers les âges, et de l’humanité en général, de cet écrivain russe qui a quitté son pays pour s’établir en Suisse, même s’il ferme la boucle de son périple dans le temps et dans l’espace par la naissance de son fils qui suscite l’évocation de son enfance. Et toujours l’histoire se perpétuera à travers notre descendance … mais pour quel sort ?

La note est sévère mais un livre est fait pour être lu alors pourquoi s'évertuer à le rendre illisible ?