La paix éternelle
de Joe W. Haldeman, Michel Pagel (Traduction)

critiqué par Romur, le 7 juillet 2008
(Viroflay - 51 ans)


La note:  étoiles
Lobotomisation et déportation
J’ai choisi ce bouquin car il a reçu le prix Hugo en 1997 et Nebula 1998.
Ca démarre comme un bon livre de science et de politique fiction, avec des innovations sympas et réalistes : nanoforge, biomechs et un contexte géopolitique simplifié mais potentiellement issu de la situation actuelle. L’alternance des points de vue entre celui du héros à la première personne (Julian, chercheur qui fait son service militaire comme chef d’un groupe de robots de combat) et celui de l’auteur qui ajoute des commentaires en contrepoint est intéressante, une fois qu’on en a saisi le principe.
Au fil de la lecture pointe un sentiment d’agacement devant les scènes de sexe à répétition, un peu de déception devant l’arrivée d’un scénario de fin du monde avec le projet Jupiter de super accélérateur de particules (on connaît, ce genre de dramatisation à peu de frais ne devrait plus figurer dans aucune intrigue) et surtout un début de malaise quand pointe enfin la véritable intrigue : le projet d’améliorer la race humaine par manipulation mentale, sur fond mystique de fraternité naïve.
La résolution de tous les problèmes au dernier chapitre grâce à la super intelligence et la super générosité des homo sapiens pacificans auxquels les masses adhèrent avec enthousiasme est trop rapide pour être crédible. La fin m’a donc déçu un peu.

Mais c’est après 24 ou 48h que j’ai pris conscience de ce que je venais de lire. Joe Haldeman a du oublier toute l’histoire humaine et en particulier celle du XXIème siècle pour oser imaginer une entreprise systématique et théorisée d’amélioration de la race humaine sous prétexte de faire son bonheur. Toutes les idéologies qui ont été mises en œuvre pour forger un homme nouveau, toutes les religions qui ont commis d’autant plus d’atrocités qu’elles prétendaient agir au nom de l’Amour me sont revenues en mémoire. La paix éternelle ne raconte pas autre chose. L’homme nouveau n’est pas créé par eugénisme mais par lobotomisation et lavage de cerveau (électronique, donc plus soft que ce que subit le héros de 1984, mais avec le même résultat de produire un homme béat dans la nouvelle société). Que vous rappelle la déportation des homo sapiens sapiens qui n’arrivent pas à s’adapter dans des îles où ils constituent des populations appelées à disparaître progressivement ? De sombres pages de l’histoire européenne mais aussi les enclaves regroupant les « sauvages » imaginées dans Le meilleur des mondes ou dans Globalia… Contrairement aux auteurs des trois ouvrages cités précédemment, qui ont rédigé des anti-utopies destinées à nous alerter sur les dérives potentielles, Joe Haldeman fait partie des idéalistes qui font le lit des totalitarismes en rêvant de construire un monde meilleur.