J'ai guetté la sortie de ce roman pendant un bout de temps mais, à mes yeux, l'attente fait partie du plaisir et un livre, c'est un peu comme une femme, il faut prendre le temps de l'effeuiller.
Ici, il s'agit plutôt de dévorer, de mordre à pleine dents, de se titiller les papilles car les mots sont des gourmandises.
Hormis le titre, rien à voir avec Apollinaire, sauf s'il était fin gourmet; j'avoue ne pas bien connaître le poète. Ricky et G Man en ont assez de travailler pour d'autres et décident d'ouvrir leur propre restaurant. Le concept est simple, évident même pour ces deux cuistots régulièrement imbibés mais jamais ivrognes: tous les plats contiendront de l'alcool. Mieux encore, l'alcool sera la base de leur cuisine. Évidemment, Alcool sera aussi le nom du restaurant.
Passons sur les péripéties que devront surmonter nos deux héros pour arriver à leurs fins car l'important est ailleurs. L'important est que ce roman donne envie de goûter les plats que préparent les deux chefs et pas de se retourner la tête à grands coups de gnôle ou de rhum. Non, j'ai envie de dîner chez eux même des plats qui normalement ne me donnent pas envie comme les huitres Rockefeller ou le riz typique de la Louisiane!
Tout est bouffe dans ce livre, même certains personnages ont des noms de comestibles comme Chase Haricot, le critique gastronomique redouté ou Mike Mouton, le méchant de l'histoire.
La littérature elle-même est une difficile tambouille dans laquelle il n'y a pas d'ingrédient sans importance. A la lecture, il m'a fallu attendre un bon tiers du livre avant d'avoir l'assurance que nos deux chefs sont gais; les éléments se mettent en place progressivement, lentement, comme une cuisson douce. Et derrière cette histoire de restaurant, c'est une histoire d'amour qui se déroule, tout en pudeur. Les deux amants sont discrets sur leur relation au point que les rares personnes qui sont mises au courant en tombent des nues.
Cela peut paraître anodin mais j'ai l'impression que l'auteur tient à normaliser les relations homosexuelles en leur donnant la même place qu'une relation hétérosexuelle. Ce n'est a priori pas le fond de l'ouvrage mais j'ai du mal à imaginer que la sexualité voulue par l'auteur soit juste une coquetterie.
Nous sommes devant un couple, ni plus ni moins et tout s'efface devant l'énergie déployée pour mener à bien leur projet. Ricky et G Man sont complémentaires, l'un ne pourrait aller sans l'autre de même que le Comté s'accompagne de vin jaune.
Curieusement, je trouve que la Nouvelle Orléans est assez peu décrite, seuls certains quartiers sont mis en valeur. Les morceaux de choix? Inversement, les personnages sont hauts en couleurs, attachants, dynamiques, tour à tour naïfs ou roués, gentlemen ou salopards. C'est tout un univers de fourneaux, de vaisselle sale et de mets fins qui s'installe au fil des pages, depuis les arrières-cours jusqu'à la salle à manger. On dirait presque un conte de fées avec dans le rôle de la marraine Lenny Duveteaux, un cuisiner devenu célèbre et surtout riche prêt à aider Ricky et G Man à réaliser leur rêve.
Comme je l'ai dis plus haut, il n'y a pas besoin de s'attarder sur les divers éléments qui viennent se mettre en travers de la route de nos héros. Cependant, il faut reconnaître à l'auteur une capacité à faire évoluer son récit par apports successifs; tout s'enchaine naturellement, même l'inattendu paraît aller de soi. Cela n'a l'air de rien mais ce faisant, l'auteur évite l'écueil qui attend tous les écrivains: le trop. Ici, il n'y a rien de trop gros, de téléphoné.
Et puis, il y a la dernière phrase, peut-être la plus importante du livre, de tout livre, qui, sans être un exploit ni un morceau de bravoure, résume tout et annonce tout. Il est incroyablement dur de savoir terminer un livre; Poppy Z Brite s'en sort très bien grâce à quelques mots anodins mais qui recèlent un monde.
Numanuma - Tours - 51 ans - 5 octobre 2008 |