Le Roi du K.O.
de Harry Crews

critiqué par Grass, le 17 juin 2008
(montréal - 47 ans)


La note:  étoiles
aux douches!
Ceux qui me connaissent ou qui du moins sont des habitués de ce blogue seront probablement au courant de mon admiration pour Harry Crews. Un écrivain atypique qui présente le sud des Etats-Unis avec des galeries de personnages aussi repoussants qu’attachants. Des péripéties renversantes, des situations dérageantes où le sexe et les freaks ont souvent la belle part, dans une écriture entraînante et colorée qui nous mène inévitablement à des finales glorieuses et sans maudit bon-sens.

En ouvrant Le Roi du K.O., j’étais convaincu d’avoir affaire avec le sommet de l’art de Crews. Je sais pas trop pourquoi. Et cette récente réédition chez Folio Policier m’a convaincu de m’y lancer enfin et voilà, j’ai attendu pendant près de quatre cent pages. Attendu que l’effet Crews se fasse sentir. Attendu le coup sur la gueule qui me ferait rire de douleur. C’est pas venu.

Il faut dire que lorsqu’on connaît Crews et qu’on lit les prémices du Roi du K.O. (dont le titre original, The Knockout Artist, est drôlement plus efficace et poétique), on se dit « Oh, crisse de marde, ça va être dé-bi-le… »

Eugene Biggs, on le surnomme K.O., ou Knockout, ou encore Cogneur. Lui préfère Eugène, tout simplement, mais c’est pas toujours lui qui décide. Biggs est boxeur, et pas n’importe lequel. Il roule avec avec une fiche aussi incroyable que 72 victoires par K.O., aucune défaite. Seulement, son seul adversaire est lui-même. Après un début de carrière prometteur en boxe professionnelle, la mâchoire de Biggs s’est mise à déconner, et il s’est mis à ne plus pouvoir prendre un coup sur la gueule. Et c’est en plein Madison Square Garden que ça s’est manifesté pour la première fois. Et depuis ce temps, Eugene Biggs gagne sa vie dans les soirées underground, où il est engagé pour se mettre K.O. lui-même, sous les yeux de nombreux spectateurs. Il n’a encore jamais perdu.

Alors quand on est au courant de tout ça et qu’on connaît Crews, on salive à l’idée de toutes les saloperies qu’il pourra nous sortir. Et pourtant. Crews nous donne, avec Le Roi du K.O., son livre le plus intérieur (du moins dans les cinq que j’aie pu lire jusqu’à maintenant) et, malheureusement, le moins intéressant.

Il se passe bien certaines choses intéressantes dans ce roman, mais l’idée de piétinement prédomine. Le plus long de l’histoire, nous le passons dans la tête de Biggs, un pauvre noir de la Géorgie du sud, qui envoie une grande partie de son argent à ses parents. Il n’a aucune éducation et vit avec Charity, une intrigante étudiante en psychologie (personnage plutôt faible, s’il en est) qui fera de lui son amant ainsi qu’un cas d’étude. Mais Biggs ne sera pas dupe longtemps et découvrira la vérité derrière ces prétendues recherches. Puis il découvrira d’autres vérités à propos de ceux qui l’entourent et il ne sera pas content du tout. C’est seulement qu’on est habitué que lorsqu’un personnage de Crews pète les plombs, il est capable d’acheter un plein camion d’explosifs et de faire sauter une ville entière en sucant le goulot de sa bouteille de whisky tout en se disant, « il me fera plus chier, c’te sale con. » On est habitués à ça. Alors de voir Biggs débarquer avec son fusil et tuer une personne avant de prendre la fuite, c’est loin d’assurer.

On voit bien poindre une note d’espoir vers la fin alors qu’arrive le personnage de Jacques Deverouge, un jeune Cajun nouvel espoir de la boxe, qui est de loin le personnage le plus intéressant de cette histoire. Malheureusement, ça ne mènera à rien. Rien qui ne soit écrit dans le livre, en tout cas.

L’arrivée de Deverouge apporte aussi une fraîcheur au niveau de l’écriture. La traduction est atrocement française, si vous voyez ce que je veux dire. Y’a beaucoup trop de mots qui font mal à lire dans la bouche de péquenots du sud sans éducation. Mais Deverouge, lui, parle Cajun, et ses dialogues sont très bien transcrits, et drôlement rafraîchissants. J’en aurais pris plus longtemps. En fait, j’aurais bien pris Jacques Deverouge comme personnage principal de ce livre, j’aurais commencé l’histoire deux cent pages plus loin, terminé deux cent pages plus tard et j’aurais envoyé Eugene Biggs aux douche, qu’il réfléchisse un peu à la place qu’il a à prendre dans un livre.

Je ne perds pas foi en Crews, mais crisse de crisse, il est mieux de pas me faire le coup deux fois de file.