Abécédaire mal-pensant
de Jean-François Kahn

critiqué par CC.RIDER, le 14 juin 2008
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Kahn tire tous azimuts !
Abécédaire mal pensant (Jean François Kahn)

Présenté sous forme d’articles courts ou longs selon les sujets, ce livre un peu à part présente l’opinion de l’auteur sur des sujets aussi variés que la politique, l’économie, la religion la philosophie. Même si l’on n’est pas toujours d’accord avec les positions prises, on ne peut que célébrer l’intelligence, la finesse ou le bon sens de l’un de nos plus brillants éditorialistes actuels, rédacteur en chef de l’hebdomadaire « Marianne ».
Reste la question placée en sous-titre : « A-t-on encore le droit d’écrire ça ? » qui sous-entendrait que l’auteur serait un terrible dissident, un révolutionnaire enragé ou un combattant engagé contre la pensée unique… Et là, grosse déception. L’auteur ne risquera ni le bûcher ni le lynchage médiatique pour ces quelques articles car il n’est que taquin, impertinent voire très légèrement insolent avec un système dont il fait partie d’ailleurs. A côté de mini-biographies de philosophes ou de grands hommes d’hier ou d’aujourd’hui, après de grandes envolées vers les hautes sphères de la philosophie ou de la politique, le voilà qui ne peut s’empêcher le calembour à deux sous ou le jeu de mots facile… Mais on lui pardonne. Personne n’est parfait et une petite blague de temps en temps peut détendre l’atmosphère.
Souvent, ça sent la poudre, ça tire, ça défouraille dans tous les azimuts. Rares sont ceux qui ne ressortent pas rhabillés pour l’hiver après être passé entre les griffes de l’auteur. Un en particulier en prend pour son grade : Nicolas Sarkozy décrit comme nombriliste, narcissique, agité, instable et surtout tenté par le césarisme bonapartiste…
On passe de bons moments au détour de ces pages.
Morceaux choisis :
Frimer : s’affirmer capable, dans le même élan, de redresser les comptes de la Sécu, les voyous des cités et la tour de Pise.
Frite : valeur autour de laquelle, en cas d’éclatement de la Belgique, peut se faire l’union de la Wallonie et de la France.
Distributeur automatique : notre interlocuteur principal, désormais, dans la vie de tous les jours.
Apéritif : sorte de vin doux que l’on boit en prélude à un repas ou banquet consistant : en apéritif donc. Par extension : vous faîtes voter des douceurs fiscales en apéritif et vous avez droit, ensuite, à un déficit budgétaire très consistant.
Omelette : le problème du centre mou, c’est sa propension à vouloir faire une omelette sans casser des œufs. Mais celle de la droite et de la gauche dure, c’est qu’elles ont tendance à casser des œufs sans réussir à faire l’omelette.
Camping : ressemble à un camp de réfugiés, sauf que l’accès y est volontaire et même payant.
Aubry, Martine : Absinthe femme. Partagea le travail, ce qui appauvrit évidemment les travailleurs, mais pour la bonne cause. Martine Aubry pense toujours bien, mais méchamment.
Argent sale : Paradoxalement, il s’agit d’argent qui a été blanchi et, en plus, quand on a découvert son origine louche, on s’exclame : « C’est du propre ! » De toute façon, comme la guerre enrichit infiniment plus que l’humanitaire et la spéculation immobilière beaucoup plus que la création poétique, on ne voit pas comment l’argent pourrait être immaculé.
Du coq à l’âne 5 étoiles

Salué à sa sortie en 2007, présenté comme un complément du « Dictionnaire incorrect » c’est un livre inégal. Les entrées à caractère historique, expriment une opinion puisque ne s’appuyant pas sur des sources identifiées. Quoique sans lien les unes avec les autres ce sont celles qui retiennent l’attention : l’origine de l’intégrisme musulman, le sabordage de l’Etat républicain au profit du Maréchal Pétain en juin 1940 (il s’y préparait depuis des années), un curieux déboulonnage de la statue de Jeanne d’Arc dont on ne soupçonnerait pas les turpitudes qui l’ont fait condamner, la trahison permanente de la reine Marie-Antoinette selon des archives étrangères révélées longtemps après son exécution. La plupart des autres entrées couvrant la période actuelle sont dans la dénonciation maintes fois répétée des excès du néolibéralisme et de la financiarisation de l’économie, et qui fait florès dans beaucoup d’autres ouvrages mieux documentés.
Mal pensant peut être pris à double sens. C’est semble-t-il regretter la pensée unique si souvent reprochée aux élites formées à l’enseigne des grandes écoles. Pensée unique aggravée par une concentration des médias préjudiciable à la pluralité de l’expression, qui sont aux mains d’un nombre réduit de puissants groupes financiers. C’est aussi dire tout le mal qu’on pense des personnes citées à de rares exceptions près, qu’elles soient contemporaines ou tirées de l’histoire depuis l’antiquité gréco-romaine. Ce qui apparaît excessif c’est l’anti-sarkozysme viscéral, la moquerie sans humour du parti socialiste et de ses leaders, la multiplication de formules à l’emporte-pièce sur des non-sujets. Pas sûr que cet esprit critique certes nécessaire, s’abritant derrière la tolérance, aide à trouver des solutions aux difficultés rencontrées, bref serve l’intérêt général.

Colen8 - - 82 ans - 24 septembre 2015