Un bref instant de romantisme
de Miranda July

critiqué par Aria, le 7 juin 2008
(Paris - - ans)


La note:  étoiles
Le désespoir "adulescent"
Voici un recueil de très belles nouvelles, simples mais souvent poignantes, écrites par Miranda July (née en 1974), écrivain et réalisatrice américaine. Elle est l’auteur du film « Toi, moi et tous les autres », plusieurs fois primé, notamment Caméra d’Or au Festival de Cannes 2005.

Lorsque l’on referme ce livre, on a l’impression d’avoir lu les carnets intimes d’adolescent(e)s, de jeunes submergés par leurs angoisses, leur peur face à la vie, l’horreur de leur propre corps, persuadés de n’être rien, d’être incapables d’attirer quiconque –toutes sensations typiques des adolescences mal vécues-.
Pourtant les personnages sont aussi bien des gamines de 14 ans plutôt délurées que des couples de la quarantaine déçus par la vie.
Dans leur quête de l’amour, les jeunes héroïnes foncent sur le sexe à tout prix. Cela leur permet de se donner l’illusion qu’elles ont au moins plu à un garçon ou à une fille et tant pis si en réalité il s’agissait d’un amour véritable mais non réciproque.

La nouvelle-titre, bien que très brève, contient un condensé de la plupart des thèmes abordés par Miranda July : solitude, manque d’amour, sentiment de n’exister pour personne, manque de confiance en soi au point de se sentir responsable de ce qui ne va pas dans la vie de ses proches, impression d’avancer sans but dans la vie, en un mot désespoir ou désespérance.
La scène se passe pendant une séance de thérapie collective et j’ai trouvé ce passage très beau : « Chacune a mouillé le chemisier de l’autre et nous avons poussé nos pleurs devant nous, comme une lanterne, en quête de tristesses nouvelles et oubliées, des tristesses mortes poliment des années auparavant, mais qui en fait n’étaient pas mortes, elles étaient revenues à la vie avec un peu d’eau. Nous avions aimé des gens que nous n’aurions vraiment pas dû aimer, puis nous en avions épousé d‘autres afin d’oublier nos amours impossibles, ou bien nous avions jadis lancé un appel dans le chaudron du monde, mais nous avions détalé avant que quiconque puisse répondre. »

La plupart des personnages ne sont pas acteurs de leur vie, ils subissent. On les sent obligés d’avancer, de travailler mais tout se passe comme s’ils faisaient semblant ou bien qu’ils étaient dans un mauvais rêve. Rien n’a vraiment d’importance, pourquoi ce petit ami plutôt qu’un autre ? Tout le monde se vaut dans la même médiocrité. «Rien au monde n’était autre chose qu’une entourloupe, soudain j’ai compris cela. Rien n’avait vraiment d’importance et rien ne pouvait être perdu.»
Chaque nouvelle contient quelque chose d’intime, de très personnel. Le lecteur se sent parfois presque un peu voyeur, tant Miranda July le met au centre du corps et de cœur de chaque personnage.

Le grand talent de l’écrivain est d’arriver à rendre drôles certaines situations. Avec un style très factuel, elle nous conte des histoires parfois désespérantes, mais elle ajoute sans cesse des notes loufoques, des scènes presqu’hilarantes, si le contexte n’était plutôt lugubre. Elle a un sens de l’absurde très subtil ; elle est capable dans la même page de nous émouvoir aux larmes, puis de nous faire rire par une situation à la limite du burlesque. De la même façon, elle parsème ses textes de phrases qui font sourire ou carrément rire.
« Nous ne faisions jamais la vaisselle, sauf quand nous tâchions d’être grandioses et autodestructrices. »
« De fait, conduire une voiture est peut-être l’activité diamétralement opposée à la danse.»

Le recueil finit de façon magnifique avec la dernière nouvelle, qui est nettement plus gaie que la plupart, «Comment raconter des histoires aux enfants». Une jeune femme garde au moins trois fois par semaine depuis sa naissance Lyon, la fille de ses meilleurs amis et devient la personne la plus proche de l’enfant.
«A dix ans, Lyon est entrée dans une phase spirituelle. Aucun de nous trois n’était religieux, aussi s’est-elle inspirée de sources diverses. Elle a appelé ça les Pléiades, une combinaison perpétuellement en évolution de la Mythologie, d’Anne Frank, de ce qu’elle pouvait glaner auprès de sa copine Claire qui allait à l’école du dimanche et portait un crucifix. » Cela donne une scène cocasse entre les deux enfants car Lyon mélange les signes des religions diverses :
« Lorsque Claire se plaignait de porter au cou cette «espèce de vieille croix idiote», Lyon lui répondait :
M’en parle pas, moi, mes parents m’obligent à porter ce machin.
Qu’est-ce que c’est ?
C’est pour notre religion.
Vous êtes juifs ?
Non, c’est vraiment compliqué. Tiens, que je te montre, enlève ton tee-shirt. (…)
Ah, ça. Ce n’est pas religieux…on appelle ça des gratouillis de dos…
Elle te touche le dos comme ça ?
Ouais.
Sans vouloir te vexer, je te préviens, il est possible que ta mère soit une perverse.»

Vous l’avez compris, ces nouvelles m’ont totalement conquise, par leur diversité et ce que j’appellerai le génie de narration de l’auteur.
Magnifique !

Titre original : « No One Belongs Here More Than You »