A l'Espère
de Sandrine Willems

critiqué par Ddh, le 31 mai 2008
(Mouscron - 83 ans)


La note:  étoiles
Une histoire provençale hors du temps proche de la nature
A l’espère est un terme du Midi qui signifie « à l’affût ». Sandrine Willems mène son lecteur dans la garrigue provençale. Une nature âpre comme les personnages qui semblent se surveiller tout au long du roman.
Difficile de s’imaginer l’époque où se déroule le roman. Il y a longtemps, au temps des rois de France, quelque part dans le Midi, le Maître chasse, Mauve, son épouse qui l’a quitté se réfugie dans une grotte en pleine garrigue, Il y a aussi Mahieu, le vigneron, et sa chèvre. Matteo le gardian, et sa cavale, l’homme noir, braconnier de son état.
Mauve, en quelque sorte sorcière, connaît toutes les vertus des plantes qu’elle cueille et dont elle en confectionne des philtres. Son moteur ? l’amour mais un amour trop fort qui se heurte à sa propre fierté et, surtout à la crainte de son amant, l’homme noir, trop sauvage pour vivre d’amour. Mahieu, le sage, observe « à l’espère » ce couple « je t’aime, moi non plus ».
Mais, plus que les relations entre les personnages, c’est la vie de la nature qui importe. Les arbres, les plantes, les oiseaux, les cerfs, les humains agissent selon les lois de la déesse terre et s’interfèrent.
Sandrine Willems maîtrise une langue particulièrement descriptive, riche d’idées qui font flotter le lecteur hors du temps présent pour un passé indéfinissable à la fois médiéval et contemporain. L’auteur parvient à communiquer au lecteur des sensations qui le font communier à cette Provence qui nous fait rêver.
Une mélodie provençale 9 étoiles

Dès le début de ma lecture, je fus emportée dans un monde onirique et étrange, au point de rencontre exact entre le rêve, la réalité, l’imaginaire et le récit historique fantasmé.
Mauve, l’héroïne par son indépendance de vie et d’esprit, endosse contre son gré sous la pression de l’époque, l’image inquiétante et dangereuse de la sorcière. C’est l’histoire d’une femme sensitive, passionnée, entière et libre mais dont l’issue ne peut être que fatale dans l’antique société patriarcale.
Une sorte de mélodie héroïque et dramatique intérieure accompagne en sourdine le récit qui avance librement, rythmé comme une cavalcade et vous amène le plus sûrement du monde vers des contrées fantastiques et pourtant connues.
Mauve, ce sublimé, cette essence de femme, belle, fine, douce, spirituelle qui tombe amoureuse de cet homme sauvage, prédateur brutal, primaire, une attirance des contraires qui existe dans l’imaginaire de tous.
L’action se situe en Provence au temps des seigneurs, dans une nature habitée et façonnée par le vécu des hommes et de leurs mythes, une Provence totalement étrangère aux folklores réducteurs.
C’est dans une garrigue odorante et griffue, parmi les plantes médicinales et les animaux sauvages, que se livre un éternel et irréductible combat, celui de l’amour de l’autre contre l’amour de soi ou vice et versa ;
« Ne savait-elle que les chevaux de Camargue après des années à servir l’homme, peuvent subitement retourner à l’endroit ou ils sont nés ? En lui elle était fascinée par cette irréductible sauvagerie, cette liberté-En lui elle avait rencontré la radicale altérité de l’animal ou de Dieu, ce tout autre auquel confronte inévitablement l’amour –et qui tue, si on ne sait pas le dompter ; »
Un livre qui en deux temps trois mouvements vous fait décoller de la réalité, vous fait remonter le temps et l’histoire et pourtant vous replace au centre de vous-même.

Camarata - - 73 ans - 27 mai 2010