La princesse du sang
de Jean-Patrick Manchette

critiqué par Tistou, le 28 mai 2008
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Le dernier Manchette, inachevé …
Jean-Patrick Manchette traîne une super-réputation, ni plus ni moins que pape, précurseur du roman noir français, à l’américaine. C’est mon premier roman de Manchette. C’est son dernier à lui. D’ailleurs il n’a pu l’achever, il est mort avant.
L’impression globale sur la manière de concevoir, de mener l’intrigue, les tenants et aboutissants, est bonne. C’est manifestement maîtrisé et il y a du souffle. Sur l’écriture elle-même, c’est plus mitigé ; des emplois curieux de temps, de concordance des temps ont heurté ma lecture. Et cette manie des précisions techniques, comme s’il tenait à prouver que, oui, il connait, c’est un domaine qu’il maîtrise … ?

« Farakhan se versa un scotch allongé d’eau plate et s’assit dans un fauteuil conçu au début du siècle par Bernhard Pankok, devant une table basse de l’école de Josef Hoffman, même époque – et le reste du mobilier était à l’avenant, c’est-à-dire dans le style Art nouveau, surtout autrichien … »

« - Nouaceur est en bas, il monte, dit-il contradictoirement et il prit dans le tiroir un pistolet Walther PPK nickelé avec des plaquettes de poignées en ivoire, d’allure très clinquante, qu’il mit dans la poche gauche de son blazer bleu à trois boutons de cuivre ; il portait un pantalon gris clair et des gants de suède fins et gris, une écharpe de soie grise était nouée très haut sous son menton, il dit : Nouaceur a l’impression d’être suivi. (La voix de cet homme était un fort chuchotement, son visage était étroit et hâlé, ses cheveux très noirs sauf aux tempes, ses yeux comme des topazes. Son PPK était chambré en .380 ACP et contenait sept coups.) »

« La Princesse du sang » faisait apparemment partie d’un projet à long terme beaucoup plus vaste, ainsi que le précise Doug Headline, le fils de JP Manchette. Ce devait être le premier d’un cycle de plusieurs romans, aus personnages récurrents, qui allait porter le nom de « Les gens du mauvais temps ».Un cancer, hélas, l’aura coupé net dans son élan, avant même d’avoir achevé le premier roman. Des notes préparatoires permettent de donner les grandes lignes de la fin du roman ainsi que la manière dont une suite pouvait s’agencer, on ne reste donc pas, heureusement, le bec dans l’eau.
Il me faudra lire d’autres Manchette, achevés, pour une idée plus précise mais m’est idée que certains tics d’écriture sont récurrents.
Les personnages sont atypiques et Doug Headline explique qu’ils auraient été inspirés à l’auteur par la lecture des romans de John Le Carré, auteur que j’affectionne, et le roman « Kahawa » de Donald Westlake, dont je conserve un excellent souvenir.
Une journaliste photographe, Ivy, à l’existence visiblement tumultueuse, vient retrouver son ... tuteur, Farakhan, en Angleterre, comme cela semble être une tradition en chaque début d’année. Le même Farakhan a manifestement des relations troubles et forcées avec des services de renseignement anglais (Le Carré pas loin !), qui mettent sur pied apparemment une opération style barbouze dans laquelle on comprend qu’Ivy serait engagée à son corps défendant, manipulée par Farakhan. S’ensuit alors un épisode cubain pour Ivy, isolée dans la montagne avec des rencontres bizarres comme vous pouvez en avoir perdu dans un tel milieu. Et l’action va se bousculer. Ivy va jouer un rôle pour lequel elle ignore qu’elle est, en quelque sorte, programmée. Violences, morts brutales s’enchaînent. JP Manchette ne s’économise pas ! Et puis très vite arrivent les notes de travail. L’heure du cancer avait sonné et nous oblige à faire une part du travail à partir des notes. Une originalité.
Impur 3 étoiles

Quand on pense à ces vrais veaux d'or qu'idolâtre le goût populaire - que lui rappellent d'ailleurs ces croquants en charge de la culture au cas ou il les oublie... - ces médiocres artisans la plupart du temps même pas responsables de leurs oeuvres, ça fait vraiment mal de critiquer un auteur rare et talentueux, en dépit de ses anachronismes. Croyez-moi !

Mais l'amour étant selon moi encore un sujet infini, je me permets une petite note sur ce policier qui n'est pourtant pas du niveau dont nous a habitué Manchette. N'en déplaise à ses gardes rouges qui postent devant le mausolée, sa dernière création ne vaut guère tripette, curieusement entre S.A.S et Marie **** Chose-Sèche (je ne la cite pas afin de ne pas être lâchement attaqué pour outrage à vache sacrée) le tout formant un coktail mi-intello fumeux très tendance mi-polar de gare de seconde classe. L'action se déroule dans le sud en ayant un lointain rapport avec Cuba, mais les personnages sont classiques et plutôt pas explosifs. On dirait presque du Dan Brown sinon du Romain Sardou c'est dire.

Dommage, car je m'attendais à mieux au lieu de ce "non" très populo...

Antihuman - Paris - 41 ans - 27 août 2014