Dévorations
de Richard Millet

critiqué par BB2B, le 3 avril 2008
(paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Magnifique écriture
A Saint Andiau, morne bourgade du haut Limousin, Estelle est une vieille fille, serveuse à l'auberge Chastaing tenue par son oncle. Ce dernier a renoncé à l'activité hôtelière de son auberge et ne sert plus que le midi des côtes de porc accompagnées de haricots verts ou de pommes de terre.
Estelle a conscience du marasme dans lequel elle vit: oncle rustre et "malsain", odeur persistante de côtes de porc, solitude, masturbation...
Un jour, vient dans le village un nouvel instituteur d'une cinquantaine d'années, écrivain fuyant Paris ou à la recherche des ses racines.

Estelle pense avoir trouvé l'amour et ainsi un sens à sa vie.
Il n'en est rien.

La lecture de ce livre est longue et assez difficile. Richard Millet a, en effet, un style très particulier. Certains passages sont un peu longs mais la beauté du texte les fait vite oublier.
Les phrases sont longues. Elles allient la poésie de par l'emploi de termes choisis et la cruauté de par leur sens. Richard Millet arrive ainsi à exprimer avec poésie des choses difficiles qui ne sont rien d'autres que le reflet du quotidien, de la vie, de la société actuelle.

Un extrait résumera mieux mes propos:
"(...) y puiser le courage de lui parler de moi, en répétant ces mots: "Je ne suis rien", qu'il a entendus d'abord sans broncher, (...), et pourtant il les avait écouté ces mots; il a fini me dire qu'il comprenait, que n'être rien est sans doute la chose la plus difficile qui soit, surtout aujourd'hui où chacun prétend être quelque chose, c'est à dire péter plus haut que son cul, pour parler comme mon oncle."

C'est quand même beau. Cette lecture m'a fait oublier la monotonie des trajets (RER et métro). Le but est atteint.
Cérébral et trivial 5 étoiles

Le monologue intérieur d’une femme, confus, embrouillé, passant d’une réflexion à un sentiment, voulant surtout crier une douleur insupportable. Richard Millet a cru bien traduire ce drame par des phrases très longues, très bien écrites, trop bien. Et c’est là où, tout au moins pour moi, le bât blesse. Ce soliloque est celui d’un écrivain et non d’une femme qui souffre. Le choix des mots, la façon de les écrire sont trop artificiels et ne sont manifestement pas ceux d’Estelle. Il en résulte une invraisemblance qui donne à ce roman, ainsi que Sahkti l’a fort justement remarqué, un côté théâtral, pour moi agaçant. Simenon, avec son style plat (c’est un compliment) et son réalisme, aurait su donner à cette histoire une toute autre envergure. Ce roman est tout à la fois trop cérébral avec ses coquetteries de style, ses affèteries de langage et trivial avec ses images empruntées plus au monde rustre des hommes qu’à celui d’une jeune femme, fût-elle hystérique, frustrée et servile.
Ce décalage entre le personnage et ce style germanopratin, même mâtiné d’expressions de la région, m’a rendu difficile la lecture de ce roman dont, par ailleurs, la fin un peu facile est bâclée en trois pages et cinq phrases.
En fait Richard Millet aurait du écrire l’histoire d’un écrivain qui par rancoeur, amour ou lassitude, cesse d’écrire et devient instituteur dans un village perdu de Haute Corrèze où il suscite la passion dévorante d’une jeune femme sans identité.

Jlc - - 81 ans - 3 août 2009


Dense alchimie du Verbe 9 étoiles

Richard Millet possède une plume qui peut être tantôt magnifique tantôt superbement agaçante, voire les deux à la fois. C'est l'impression générale que m'a laissé ce "Dévorations", roman de l'émerveillement, celui d'une passion qui dévore tout sur son passage. Subtile mise en contraste de ce feu confronté à l'immobilisme d'un hôtel-restaurant fermé, d'une région qui dort, d'une vie qui s'éteint sous la coupe d'un oncle trop présent.

La longueur des phrases de Richard Millet, désarçonnante, colle assez bien à mes yeux au marasme qui s'est emparé du coeur d'Estelle, dévorée d'amour, en proie au tourment. Tout se mélange, son sang va et vient, son coeur emplit son esprit de tous ces mots qu'elle ne contrôle plus. Or le contrôle, c'est quelque chose qu'elle connaissait plutôt bien jusqu'à l'arrivée du nouvel instituteur. Là encore, l'écriture de Millet épouse les contours de ce moule dans lequel Estelle a coulé sa vie; un ronronnement émerge des premières pages, celui d'une existence morose à souhait.

La plume de Millet, sa manière de tout (trop?) détailler finit par donner au texte des allures théâtrales, à l'image de la tragédie qui se joue dans ce village de Saint-Andieu, paisible bourg dans lequel il ne se passe jamais rien. Une écriture qui peut désarçonner, dont la complexité peut rebuter mais qui mérite d'être explorée pour toute la richesse qu'elle contient dans le cas présent. Contrairement à d'autres titres de Millet dans lesquels ce procédé m'avait rapidement lassée, j'ai trouvé ici qu'il se mariait judicieusement avec le coeur du récit, avec ce drame qui s'esquisse au fil des jours, lentement, sournoisement. Les mots, denses et nombreux, tentent l'apaisement de cette dévoration intérieure; il y a là une alchimie qui fonctionne parfaitement à mes yeux.

Sahkti - Genève - 50 ans - 29 juin 2009


Un essai pas transformé 5 étoiles

Beaucoup a été dit, que je serais tentée d'appuyer: un fond (très) intéressant, une forme (trop) lourde.

L'absence de découpage (pas de paragraphes, phrases très longues) m'a empêchée du début à la fin d'accrocher pour de bon. Après avoir lu les 5 premières pages, puis relu les 3 premières, rebuté sur les mêmes passages, retenté de saisir l'essence de chaque mot, comme l'auteur nous y invite (j'imagine), j'ai opté pour la solution bis: survoler le texte. Ce que j'ai fait. Jusqu'au bout. Je pense avoir "imprimé" le principal de l'intrigue, ce qui me fait dire que l'idée n'était pas si mauvaise, et le traitement pas mal trouvé. Cette déjà vieille fille et ses obsessions, le monde clos dans lequel elle vit, les mondes plus ou moins clos de ceux qui l'entourent, cette façon crue et dérangeante de nous parler de cette intimité qu'elle n'a jamais partagée avec personne d'autre...

Pour le reste, j'ai été soulagée à chaque point de fin de phrase, de chapitre. Soulagée de pouvoir respirer un peu, avant une nouvelle plongée en apnée. Est-ce dû à l'utilisation du présent? J'ai l'impression (peut-être fausse) que si l'ensemble avait été écrit au passé, je me serais plus facilement accommodée de certaines des "parenthèses" du récit, ces errements dans l'esprit d'Estelle.

J'ai été finalement soulagée d'arriver au bout du livre, et surtout très frustrée de ne pas avoir réussi à jouer le jeu de l'auteur.

Mallollo - - 42 ans - 16 juin 2009


Dévoré par un tic … 7 étoiles

Quel dommage que ce roman touffu soit dévoré par un tic d’écriture. Enfin, l’auteur plutôt ! Il y a de la matière, une épaisseur psychologique indéniable, une vraie habileté à installer une atmosphère, à reconstituer un lieu (récemment passé par St Flour dans le Cantal, nombre de descriptions et de reconstitutions de lieux sont criantes de vérités du pays sud-auvergnat). Il y a une histoire crédible, intéressante … Mais il y a ce tic d’écriture dont je ne peux pas croire qu’il ne soit pas volontaire. Mais pourquoi grands Dieux ! ?
De quoi parlons-nous ? D’une écriture touffue, serrée, non-aérée. De phrases qui n‘en finissent plus, aux incidences innombrables qui font perdre le sens du récit et agacent, agacent prodigieusement. (Enfin moi en tout cas !)
Voilà une phrase, un peu au hasard (il y en a foultitude ainsi !) :

« Nous vivons dans un paysage qu’on s’accorde à trouver sauvage, rude mais beau, et que nous voyons, nous, sans le regarder, parce que nous sommes là depuis toujours, et que y finirons probablement nos jours ; et il m’a fallu le rencontrer, lui, l’ancien écrivain, pour comprendre que je l’aimais, cette terre où je vivais sans me poser de questions, sans me plaindre, sans songer, comme tant de jeunes gens, à aller vivre ailleurs, étant de Saint-Andiau comme on a les cheveux châtains ou le nez droit, et destinée à vieillir dans ce qui devient peu à peu une cité-dortoir, une bourgade quelconque, endormie le long de la route nationale, au bord du haut plateau granitique où il était né, lui, l’ancien écrivain, à une soixantaine de kilomètres de là, dans ce village de Siom où je n’avais jamais mis les pieds et où il ne m’emmènerait pas, ayant rompu avec tout ça, ne parlant plus que de ce qu’il avait été, de ce qui lui avait fait vouer sa vie à cette chose qui me reste étrangère et me parait inutile, hors des Saintes Ecritures : la littérature ; ce qui, lorsque je le lui ai avoué, l’a laissé indifférent, donnant même à son sourire, ai-je cru comprendre, quelque chose de joyeux, cette indifférence étant peut-être ce qui, comme le dégoût des livres, comme les corps, pouvait nous rapprocher l’un de l’autre, puisque l’indifférence est ce à quoi tout homme aspire, une fois éteinte la mauvaise lueur qui rôde dans ses yeux quand il s’approche d’une femme sans lui parler ou bien avec des mots qui ne valent pas mieux que le silence. »

Ouf ! Ca va ? Vous avez repris votre souffle ?
Et vous pourriez vous dire que ceci n’est que le propos d’un personnage, en l’occurrence ici Estelle, une manière peut-être d’installer un sentiment de confusion … Que nenni ! C’est la règle apparemment chez Richard Millet ; des phrases sans fin, des virgules à foison, du point-virgule, du deux-ponts comme s’il en pleuvait … ! Tic que tout cela. Dommage. Ca doit en rebuter plus d’un.
L’histoire sinon est à la fois banale et particulière. Un peu comme une vie d’homme ou de femme en général ; banale … mais particulière. Estelle, tôt orpheline et recueillie-éduquée par son oncle, commence à trente-trois ans à ne plus se sentir si jeune à vivre seule, repliée sur elle-même dans le cadre du restaurant que tient son oncle et où le menu immuable est basé sur les côtes de porc et l’absence de vraie cuisine. Elle commence à se dire que s’il n’y a pas eu de passé pour elle, il n’y a surtout pas d’avenir, pas plus que de présent, quand débarque le nouvel instituteur, un plus vraiment jeune de cinquante ans, ancien écrivain en rupture de ban.
Elle va se mettre en tête qu’il est SON avenir. Lui, manifestement ne le pense pas. Et Richard Millet nous fait remarquablement vivre les trajectoires qui jamais ne se rejoignent de ces deux-là. Elle est pathétique, Estelle. Il est mystérieux, l’instit. Il est rude ce pays et Richard Millet l’aime, sans nul doute.
C’est passionnant malgré la noirceur générale, mais … Le tic … Pfff !

Tistou - - 68 ans - 21 mai 2009


Une lecture prenante 9 étoiles

Un roman que je n’aurais sans doute jamais lu s’il n’avait pas fait partie de la sélection finale – romans francophones de Critiques Libres 2009.
J’ai entamé sa lecture "à reculons" : j’avais lu plusieurs critiques négatives, le texte est « compact » (un seul paragraphe par chapitre...).
Finalement une excellente surprise, j'ai été complètement prise par cette "vieille fille" solitaire, qui déroule son histoire avec des digressions qui, de chapitre en chapitre, éclairent le contexte.

Ludmilla - Chaville - 69 ans - 12 mai 2009


"Vous valez mieux que vos rêves" 8 étoiles

« Nos noms ne diront rien à personne : le mien pas plus que le sien, son vrai nom du moins,» mais la jeune servante de cet hôtel-restaurant qui a fermé son hôtel pour ne conserver que son restaurant qui sert son éternelle côte de porc dont l’odeur imprègne jusqu’à sa peau, nous en dira beaucoup plus sur la vie qu’elle mène depuis le décès de ces parents dans un accident de la route quand elle avait dix ans, dans ce triangle de perdition, Egletons-Meymac-Ussel, où elle dépérit à trente-trois ans, toujours vierge, le corps agité par l’envie de celui qui viendra, un jour, combler ce vide et la raison secouée par la peur de l’autre, l’homme, le chasseur car «une femme étant toujours une femme et un homme un affamé. » Et, cette vie sans aucun relief, triste et banale à mourir, rythmée par le seul passage des camions sur la grande route qui traverse le village, va basculer un soir quand il, le maître, se présentera au restaurant espérant pouvoir se restaurer mais devant s’incliner devant le patron, l’oncle de la servante qui a repris l’affaire après le décès des parents d’Estelle, car elle finit par nous avouer qu’elle s’appelle Estelle, qui, par remord, l’enverra porter quelques nourritures à cet homme plus très jeune qui est le nouvel instituteur du village et un écrivain qui a cessé d’écrire. Cet homme pourrait être celui qu’elle attend depuis si longtemps, que son ventre dévoré par les renards espère depuis des années mais qu’elle ne doit pas poursuivre de ses assiduités car dans ces petits villages campagnards, «sur ces hautes terres oubliées de l’Histoire comme elles l’ont été de Dieu, » une fille qui veut vivre comme une femme est vite une bonne à rien, une catin. Et, balançant entre son ventre qui réclame son dû et son statut social qui lui demande de rester à sa place de petite orpheline marquée par le sort qui est condamnée à servir les côtelettes de porc que l’oncle s’évertue à servir jour après jours dans le restaurant qui ne porte même pas le nom de ses parents disparus mais celui des propriétaire précédents, elle se fait de plus en plus assidue auprès du maître qui ne l’encourage en rien restant de marbre, ou de lauze dans un affrontement entre le feu volcanique réveillé et la lave refroidie, entre celle qui cherche un avenir et celui qui veut oublier un passé, entre la servante et le maître dans une forme de soumission déjà consentie. Sentant que son destin ne comportera pas une autre occasion de ce genre, la fille Chastaing, celle qui n’a même plus de nom et qu’on appelle du nom figurant sur l’enseigne de l’ancien hôtel-restaurant, insistera jusqu’à la limite du possible, jusqu’au dénouement, jusqu’à ce la vérité se manifeste dans toute sa crudité et dans toute sa cruauté.

« Un roman qu’elle avait lu avec difficulté, le jugeant trop sombre, avec des phrases exagérément longues et des considérations désespérées sur les relations entre les homes et les femmes. » Millet a-t-il voulu écrire lui-même la critique de ce roman en faisant tenir ce propos à son héroïne ? Peut-être, car ,sombre, ce roman l’est, il contient tout le désarroi de ces femmes de nos campagnes isolées qui ne trouvent pas la chaussure qui y ira à leur pied et qui sont condamnées à vivre une vie de solitude et de frustration comme des êtres asexués ou comme des filles névrosées avec un incendie qui ravage en permanence leur ventre délaissé. C’est tout le drame de l’exode rural et de ces femmes des campagnes abandonnées à leur sort qui surgit au cœur de ces phrases longues comme une promenade dans la campagne limousine mais qui coulent paisiblement comme le flot de la Triouzoune qui rythme la vie de Saint-Andiau comme ces phrases scandent le flot de cette histoire d’une douce musique qui pourrait bercer le lecteur si ce récit était moins sombre et que les relations entre les hommes et les femmes étaient moins compliquées, surtout quand il y a trop peu d’hommes pour les femmes qui veulent vivre une vraie vie de femme dans leur chair, dans leurs sentiments, dans leur famille et dans la société. Millet a fait l’expérience de l’écriture au féminin et les lectrices seules peuvent nous dire s’il a su toucher les points sensibles de leur vie interne mais son personnage est très crédible et il évoque pour moi bien des femmes que j’ai connues dans une autre campagne au moment de l’exode rural, restées seules par manque de chance, absence de candidat ou même par veuvage trop précoce. Ce récit sonne vrai, il respire l’authenticité et il parle juste, l’argument est très crédible, le scénario est bon même si le dénouement est sans grande surprise et un peu décevant, et l’écriture embarque le lecteur comme une mélodie accompagne le promeneur dans un lied de Schubert. Il ne manque à ce récit que des respirations, des pauses, pour prendre le thé ou boire une bière et ensuite pouvoir restituer ce liquide à dame nature sans risquer de ne pas retrouver la page quittée.

Richard, un mauvais point tout de même pour la cancoillotte que tu compares à de la semence immonde, ou quelque chose de pas plus ragoûtant, mais qui est un merveilleux fromage de mon pays que tu n’as pas su apprécier comme il le faut avec un vin du pays d’Arbois mais je pardonnerai cet écart culinaire qui est bien compensé par un bon goût musical affiché à travers la place laissée aux Rolling Stones qui ont endiablé ma jeunesse.

Débézed - Besançon - 77 ans - 3 mars 2009


Manger cru 6 étoiles

Il y’a des moments percutants dans cette confession d’une femme en manque d’amour. Mais, la force du texte n’arrive pas nous happer en raison de la forme. Des blocs de textes imposants. Des phrases aux mille virgules. On étouffe. Peut-être était-ce le but de l’auteur ?

Dommage, car j’adore l’exploration du côté primaire de l’humain - les sentiments qui font mal, l’érotisme gras - et sa place dans les relations interpersonnelles. « …il n’existe pas d’amitié pour laquelle on n’ait d’abord éteint en soi les incendies que suscite le fait d’être né homme ou femme et de plaire, désirer, vouloir à tout prix dévorer l’autre pour échapper à ce qui nous dévore… »

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 21 janvier 2009


Lent 6 étoiles

La lecture de ce livre est ardue. Les phrases sont longues et la syntaxe porte parfois à confusion. On se perd. Le manque de paragraphes rend difficile de prendre une pause de lecture pour prendre le temps de digérer ce qu’on lit (on dévore ou rien, semble-t-il), j’ai souvent dû retourner en arrière pour mieux comprendre les phrases.

Ça devient moins pire quand on commence à comprendre ce qui se passe. Le thème de la vieille fille est intéressant et assez bien dessiné. Cependant, le rythme du livre est lent et lourd, ce qui m’a empêché de vraiment savourer l’histoire.

Nance - - - ans - 28 décembre 2008