Les empreintes du diable
de John Burnside

critiqué par Sentinelle, le 9 mars 2008
(Bruxelles - 54 ans)


La note:  étoiles
Se confronter à ses propres démons
Une légende locale du village de pêcheurs de Coldhaven laisse entendre qu'une nuit d'hiver, il y a très longtemps, alors que la neige venait de tomber, le diable avait traversé le village en laissant la trace de ses pas dans les rues et sur les toits.

Cette légende est peut-être à l'origine d'un terrible fait divers : une femme battue, Moira, pense que son mari violent est le diable en personne, et que leurs enfants portent en eux le germe du démon. Pourquoi Moira tuera-t-elle ses deux fils avant de se donner la mort, en épargnant sa fille Hazel ?

Michael, ancien petit ami de Moira, se demande si Hazel, jeune fille de 14 ans, n'aurait pas été épargnée dans la mesure où elle n'était peut-être pas la fille biologique du mari mais – qui sait – sa propre fille.

Michael a toujours vécu à Coldhaven, mais il s'y est toujours senti étranger et à part. Il habite la maison de ses parents aujourd'hui décédés, maison qui se situe à l'écart du village, à l'image de Michael qui se sent toujours en marge du monde, du village, des gens, de son épouse.

Il devient petit à petit obsédé et fasciné par la jeune Hazel et décide dans un premier temps de la suivre dans les rues, à la sortie de l'école, sans se faire remarquer. Michael ignore encore qu'il a mis les pieds dans un terrible engrenage qui le conduira à affronter ses propres démons et ceux de ses parents, qui n'avaient qu'un seul défaut, celui d'être venus d'ailleurs et qui étaient demeurés à tout jamais étrangers du village.

Vous l'aurez compris, ce récit a des allures de conte initiatique et un style à nul autre pareil que lui confère la plume singulière de John Burnside.

Extrait :
" Pendant un instant, je fus perdu ; pendant un instant, je fis ce que j'avais toujours voulu faire : je ne pensai à rien. J'appelle cela de la panique, aujourd'hui chez moi, dans la sécurité de mon fauteuil, mais la panique n'est qu'un mot, or il s'agissait de tout autre chose. C'était l'abandon total. C'était le doigt d'un dieu raclant l'intérieur de mon crâne."
Captivant 7 étoiles

L’histoire se déroule à Coldhaven, petit village de la côte est de l’Ecosse, où une légende ancestrale raconte que le diable laissa, par une nuit de neige comme on en avait jamais vue, des empreintes noires et étranges un peu partout. Dans ce village vit Michael, qui n’a jamais quitté la maison où il a grandi. Une maison que son père avait choisie car elle lui permettait de concilier au mieux son métier de photographe et sa passion pour les oiseaux.

Le roman commence par un fait divers horrible. Moira, qui est elle aussi originaire de Coldhaven, vient en effet de se suicider avec ses deux plus jeunes enfants, ne laissant la vie sauve qu’à sa fille aînée, Hazel. Michael est très troublé par ce geste, d’autant plus qu’il a jadis eu une liaison avec Moira, et qu’il réalise qu’il pourrait très bien être le père d’Hazel. Dès lors, il s’enferme dans un isolement grandissant au fur et à mesure qu’il se remémore son passé. Et le lecteur apprend que les parents de Michael ont toujours été rejetés par les habitants, que lui même a longtemps été le souffre-douleur du propre frère de Moira. Et tous les trois se sont bien gardés de se parler de leurs difficultés respectives. S’éloignant inexorablement de son épouse Amanda qu’il n’aime plus, Michael ne parle qu’avec la commère du village, Mrs K., qui vient faire le ménage chez lui et partager une tasse de thé. Il est obsédé par Hazel, au point d’intervenir dans la vie de l’adolescente et de faire soudainement basculer le récit dans une fuite en avant.

Ce livre est donc partagé en deux temps. Durant le premier, le héros se plonge dans ses souvenirs et revit pour nous son histoire. Ce qui nous éclaire sur sa manière d’être et son goût pour la solitude. Mais dans le second, l’homme immobile passe à l’action, prend la route, et finalement prend sa vie en mains. Dans un style remarquable, une écriture qui m’avait déjà beaucoup plu dans La maison muette, John Burnside livre un roman captivant dont le personnage principal est glaçant. Glaçant par son manque apparent de sentiments, son indifférence à tout et en particulier à son épouse. Une attitude qui confère au roman une atmosphère très singulière, mais qui semble tout de même vouloir se fissurer au terme du voyage.

Aliénor - - 56 ans - 29 août 2012


Et si c'était le Diable? 7 étoiles

Côte ouest de l'Ecosse (Burnside est écossais), village de Coldhaven. Depuis toujours, on raconte que la diable a laissé ses empreintes par un soir de neige, un peu partout sur les toits des maisons.
Michael, le narrateur, y croit très peu à cette histoire mais voilà, dans un village où on ne s'est jamais senti accepté, il faut bien faire avec ce qui s'y passe.
Alors quand une ancienne petite amie, Moïra, tue ses deux garçons et se suicide juste après, laissant la vie sauve à sa fille Hazel, il y a de quoi se poser des questions. Parce que Moïra était persuadée que son mari était le diable en personne et qu'il avait transmis ses gênes maléfiques à ses gamins. Parce que Michael croit être le père caché de la jeune fille. Parce que tout cela réveille en lui de douloureux souvenirs mais aussi pas mal de silences qui le poussent, peu à peu, à devenir complètement obsédé par Hazel.

Roman du silence, du secret et de ces traces qu'on garde enfouies au plus profond de soi le plus longtemps possible. Des traces que la neige de la mémoire recouvre peu à peu jusqu'à ce qu'un petit vent vienne balayer la première couche et révéler au monde ce qu'on voulait cacher.
John Burnside progresse à pas lents dans ce récit, il prend le temps de le construire, de mettre en place le mécanisme de l'obsession. Il accorde également une grande importance à la rumeur car c'est finalement elle qui a raison de tout à Coldhaven.
Grâce à une écriture élégante proche de la poésie, Burnside arrive à créer une atmosphère pesante, celle du non-dit et des craintes que le lecteur finit par ressentir, se demandant ce qui pourrait bien se passer, voire lui arriver. Parce que tout de même, c'est une histoire sombre, un roman presque noir. J'ai aimé, beaucoup, cette manière de faire, car elle implique rapidement le lecteur dans l'histoire en lui faisait ressentir toutes les émotions que peuvent vivre les protagonistes.

Sahkti - Genève - 49 ans - 21 mai 2008