Profondeurs
de Henning Mankell

critiqué par Nana31, le 18 février 2008
(toulouse - 55 ans)


La note:  étoiles
L'engrenage du mensonge.
Au début de la première guerre mondiale,un officier de marine suédois se voit confier un emploi secret. Il s'agit de sonder une nouvelle voie maritime et de la cartographier.
Sa mission l'entraine sur une ile d'apparence inhabitée, et d'un milieu hostile. Pourtant , sur place il fera la connaissance d'une femme qui y habite. En dépit de sa famille, il s'éprend d'elle. Sa femme Kristina l'attend à Stockholm. L'officier Lars est épris et comme envoûté par cette femme.
Il est hanté et adore le contrôle qu'il exerce en mesurant les choses; les distances entre les lieux, les objets, les personnes.
De mensonges en mensonges, entre Christina sa femme qui perd la raison, et Sara Frédérika qui s'accroche à l'espoir de partir avec lui loin de cet ilot hostile; Lars va s'engouffrer dans un abime intérieur incontrôlable.
Il s'inventera des missions secrètes, au risque d'être radié de son poste qu'il finira par perdre.
Peu à peu, il finira par basculer dans la violence (allant jusqu'au meurtre puis dans la folie jusqu'à l'issue fatale...).

Profondeur constitue une nouvelle preuve du talent romanesque de Henning Mankell. Un roman à découvrir!
Dans les sombres profondeurs de l’âme humaine 6 étoiles

Curieux roman que ce Profondeurs. Aussi bien par le personnage, le capitaine Lars Tobiasson-Svartmann, hydrographe dans la Navale suédoise, que par les préoccupations-obsessions dudit personnage ; sa sonde notamment, principal outil de travail pour cartographier le fond de la mer, au point qu’il la serre contre lui la nuit pour dormir.
Nous sommes en automne 1914 et la guerre a éclaté. Les flottes russes et allemandes vont s’affronter dans la mer Baltique et la Suède a du mal avec son statut de nation neutre.
Au sud-est du pays, l’Östergötland avec un archipel d’îles qui compliquent les manœuvres et circulations des gros navires de guerre. L’Etat-major suédois veut une meilleure cartographie de cet archipel et confie cette mission à notre homme.
Il va sonder comme un malade entre des quantités d’îles et d’ilots pour trouver une route alternative compatible avec les navires suédois. Mais très vite, au cours de cette mission, il va tomber sur une petite île théoriquement déserte mais habitée dans la réalité par Sara Fredrika, jeune veuve, qui survit de pêche dans un isolement terrible.
C’est là que le roman va réellement démarrer puisque Lars Tobiasson-Svartmann va devenir autant obsédé par Sara que par sa sonde (c’est dire !). Il va s’arranger avec la réalité ; mentir à sa femme restée à Stockholm, mentir à sa nouvelle maitresse, mentir aux autorités militaires pour continuer à œuvrer dans l’archipel … Une descente aux enfers programmée pour un homme à la personnalité trouble et peu attachante.
Ca en fait un curieux roman dont j’ai trouvé les prémices passablement alambiquées. Pas le meilleur d’Henning Mankell.

Tistou - - 68 ans - 15 mars 2024


noir c'est noir 5 étoiles

Difficile de critiquer un livre très bien écrit avec une histoire particulièrement noire. La folie monte en puissance au fil des pages dans des décors nordiques surréalistes. On a du mal à comprendre certaines décisions du personnage principal tellement celles-ci semblent le détruire à petit feu.
"Les chaussures italiennes" m'avait vraiment envoûté, "profondeurs" reste agréable par le style mais effectivement on descend dans des profondeurs extrêmes.

Gardigor - callian - 47 ans - 22 septembre 2011


De profundis .. 7 étoiles

Après les très très remarquables Chaussures italiennes et Tea-Bag, voici Profondeurs, un autre roman du suédois Henning Mankell que l'on connaissait surtout par ses polars.
Profondeurs nous raconte une très étrange histoire à l'aube de la guerre de 1914 : celle du capitaine Lars Tobiasson-Svartman de la marine de guerre suédoise. Je cite le patronyme en intégralité puisque Lars tient beaucoup à ces deux noms accolés : celui de sa mère (Tobias...) étant supposé le protéger de celui de son père ...
Le capitaine Lars se montre un personnage assez peu sympathique : il ment continuellement, s'emporte facilement et peut se mettre à frapper, voire pire encore.
Il ment à tout le monde : à sa femme, à sa maîtresse, à ses collègues et à l'Amirauté. Difficile de s'attacher à ce drôle de bonhomme. Enfin, drôle, c'est une façon de parler.
Un bonhomme un brin obsessionnel, obnubilé par les distances qu'il estime ou mesure avec précision : il est hydrographe, chargé de tracer des routes secrètes dans l'archipel suédois de la Baltique pour les bateaux à l'aube de la grande guerre. Obsédé par les distances donc, à commencer par celles qu'il prend soin de maintenir entre lui et les autres.

[...] Ses tout premiers souvenirs étaient les distances : entre lui et sa mère, entre sa mère et son père, entre le sol et le plafond, entre l'inquiétude et la joie.Sa vie entière se résumait à des distances à mesure, à raccourcir ou à rallonger.

Notre hydrographe est obnubilé par les profondeurs qu'il devine ou mesure en mer pour tracer ses routes, obsédé au point de dormir avec sa sonde en guise de nounours.

[...] Le lendemain, il marcha dix kilomètres sur la glace. Ce qui le conduisit par-delà la fosse de Bockskär jusqu'aux rochers d'Hökbada, où il installa son campement pour la nuit.
À l'origine son intention était de marcher droit sur Halsskär; mais une fissure dans la glace l'avait forcé à faire un détour par le nord. Hökbada n'était qu'un groupe de rochers escarpés et inhabités. Avant la tombée de la nuit, il eu le temps de s'y construire un abri, un toit de branches et de mousse jeté sur une anfractuosité rocheuse. Il fit du feu et ouvrit une conserve de viande. Quand il se glissa dans son sac de couchage, le vent était encore faible. Le froid s'était adouci pendant la journée. Il estima la température à moins trois degrés. Une fois la nuit tombé et le feu éteint, il tendit l'oreille pour écouter la mer. L'entendait-il se briser contre le bord de la banquise ? la glace tenait-elle jusqu'à Halsskär ? Était-ce la mer ou le silence de ses pensées qu'il percevait ?
À plusieurs reprises il crut entendre des coups de canon, d'abord un grondement lointain, puis une onde de choc qui s'évanouissait dans les ténèbres.
Personne en sait où je suis, pensa-t-il. Au coeur de l'hiver, dans ce monde glacé, j'ai trouvé une cachette que personne ne pourrait même imaginer.

Au cours de ces missions en mer ou sur la glace, le capitaine Lars fera la rencontre d'une femme à demi perdue sur une île de pêcheur. Il en tombera aussi obsessionnellement amoureux qu'il l'était de sa sonde marine et finira par errer de mensonge en mensonge entre son épouse de Stockholm et cette femme sur son île glacée.
Une histoire presque kafkaïenne avec, en arrière-plan, la description sans concession d'une Marine suédoise où, malgré la neutralité affichée, les officiers ont bien du mal à cacher leurs sympathies pour la flotte du Kaïser qui ne va pas manquer de mettre la pâtée à ces arrogants britanniques.
De tout cela on se doute qu'il ne sortira rien de bon : certains sombreront dans la folie, d'autres sombreront tout court dans les profondeurs des eaux glacées et le Monde lui-même sombrera peu à peu dans l'horreur des années de guerre.
Évidemment quelques parallèles sont évidents entre l'officier de marine Lars et le chirurgien Fredrik Welin des Chaussures italiennes : deux hommes perdus sur leur île, tenant soigneusement "les autres" à l'écart et que seuls la glace et le froid relient au monde ...
On avait quand même trouvé le roman des Chaussures beaucoup plus abouti et surtout plus agréable à lire, ne serait-ce que parce qu'il était un peu moins pessimiste que ces sombres Profondeurs.
Pour celles et ceux qui aiment les histoires de marin, même givrés.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 18 avril 2010


Envoûtant et troublant 9 étoiles

On suit l’étrange parcours par lequel l’hydrographe Lars Tobiasson-Svarten se dépouille progressivement des liens qui le rattachent à la marine et aux autres marins, à sa famille, pour s’enfermer dans l’obsession, le mensonge, la solitude et la mort .
Un homme hanté par l’évaluation , la mesure des distances, des poids , des vitesses sur des éléments qui lui sont extérieurs mais aussi intérieurs ,un homme qui est à la fois le mesureur, le mesuré et l’outil de mesure . Tout en cherchant à évaluer la profondeur de la mer il cherche à évaluer celle de son propre abîme . Il ne fait qu’un avec sa sonde, la couchant contre lui quand il dort et devenant lui-même sonde lorsque il se leste et se jette dans l’eau pour ne plus remonter .
Un homme qui tente de comprendre sa dualité, de sonder le double maléfique qui l’habite et se révèle peu à peu avec son habitude du mensonge et de la falsification, avec son goût pour le spectacle de la mort puis par l’exercice de la violence .
L’action se déroule dans les solitudes glacées et désolées des mers du nord, au milieu du froid, de la glace, du brouillard, dans un désert humain et végétal ; une action qui paraît intemporelle malgré les allusions à la 1ere guerre mondiale lointaine qu’on ne voit pas, mais dont on entend comme des échos .
Hennig Mankell habitué des romans policiers sait distiller mystère et anecdotes inquiétantes en une succession de 206 séquences toujours numérotées comme pour traduire l’obsession de la mesure, séquences de longueur variable, rédigées en phrases brèves, juxtaposées comme le seraient une succession de relevés concis ou de constats d’observations dans un journal de bord .
Un roman qui, refusant toute sentimentalité, explore les zones d’ombre du personnage central, et traduit sa chute : un roman envoûtant et troublant

Alma - - - ans - 27 mai 2008


Luisant et coupant comme un morceau de charbon. 6 étoiles

Qu'il est dur de s'attacher à un personnage aussi enténébré que le capitaine Lars Tobiasson-Swartman! Esprit retors, âme à la dérive, hydrographe doué mais indigne de confiance, il tente en vain de surnager dans le puits sans fond de sa raison. Ses perpétuels mensonges sont les pierres d'une muraille qu'il dresse contre lui-même. Les hommes et les femmes qu'il côtoie sont un peu à son image: rudes, bourrus, âpres comme le climat de cette Suède du début siècle, cernée par la guerre. Autant dire que le roman d'Henning Mankell ne fait pas dans la légèreté. Pourtant, et malgré cette noirceur presque débordante, on finit par se prendre au jeu. Du style précis et sans emphase, de la description lunaire de ces paysages brumeux et rocailleux naît un récit aux facettes aussi luisantes et coupantes que celles d'un morceau de charbon. Une histoire bien construite, un peu (trop) cafardeuse tout de même!

Philduch - Aix en Provence - 57 ans - 14 mars 2008