Bienvenue parmi nous
de Éric Holder

critiqué par Persée, le 7 octobre 2001
(La Louvière - 73 ans)


La note:  étoiles
Le vieil homme et la sauvageonne
« Punto e basta ! » Ainsi a-t-il intitulé sa dernière toile. Le vieux peintre, sentant sa fin prochaine, est bien décidé à poser lui-même le point final. Discret et méthodique, il s'occupe à préméditer son coup.
Et voici qu’une ado rejetée par sa mère joue les grains de sable dans la mécanique suicidaire de l’artiste épuisé. Refermée comme une huître sous les coups de couteau de la vie, elle a le désespoir taiseux et égoïste. Ses seules ouvertures, elle les réserve à sa mère dont le téléphone s'obstine à ne pas lui répondre.
L'homme, imperceptiblement, se prend d’affection pour la jeune fille qu'il ramènera sur les grandes routes de l'existence pour qu'elle y fasse son auto-stop en levant le pouce.
J'avais été séduit par « On dirait une actrice », recueil de nouvelles du même auteur (Librio). Ce roman-ci agit avec le même charme discret, minimaliste à la Delerm, dont il est d’ailleurs un des compagnons littéraires.
Ici on ne refait pas le monde, on y cherche sa voie à petits pas, sans brandir les grandes idées ni se laisser bercer par de trompeuses illusions. « No hay camino. Se hace un camino al andar » disait le poète Machado. « Il n’y a pas de chemin. Le chemin se fait en marchant. » Pas de dialogues fulgurants. Tout se passe dans le non-dit de deux êtres qui se découvrent solidaires.
Pas un mot de trop. Une lecture courte et tonique (157 pages). Les ados s’y retrouveront. Et aussi ceux qu'ils appellent « les vieux ». Ceux pour qui l’adolescence (putain d’accélération de l’histoire !) c’était hier. Eh oui ! Plus tu montes dans les vitesses, mec, plus ta bagnole trace et plus le paysage s'affole. Nous sommes les acteurs piégés d’un court métrage bricolé par un cinéaste amateur, voilà ! Si seulement on pouvait, de temps en temps, se passer la bande au ralenti…
Bon anniversaire Daniella ! 7 étoiles

Éric Holder (1960-2019) est un romancier français.
"Bienvenue parmi nous" paraît en 1998 et est adapté au cinéma par Jean Becker (2012)

Lui, c'est Taillandier :
"Ce fut peu avant la date anniversaire de ses 62 ans qu'il prit la décision de se suicider".
Un peintre que la maladie a rattrapé et qui ne peint plus depuis 7 ans. En guise d'adieu, il organise un repas d'anniversaire festif et achète une carabine pour se retirer de la société des hommes.
Elle, c'est Daniella, jeune adolescente de 15 ans, qui fuit une mère névrotique et un père inconnu. Une jeune fille psychologiquement détruite, récupérée au bord de la route par Alice -compagne de Taillandier-
"Un passereau qui se pose pendant la migration, reprend des forces et repart".
Taillandier et Daniella sont deux taiseux timides que le temps va rapprocher.
Daniella s'enfuit une nouvelle fois, est récupéré par Taillandier. Ces deux-là vont sillonner la Normandie et la Bretagne pour tenter de réapprendre à vivre.
"Au moment de quitter le monde, il lui était donné d'imaginer, à travers elle, ce qu'allait devenir ce monde. Et plus il l'observait dans la grande maison, plus il avait confiance dans l'"après-lui".
"Une gamine qui n'avait pas de projets, un homme usé qui n'en avait plus... Ils se trouvaient au centre de plus en plus de rien, mais ensemble."

Une belle histoire, 2 personnages que l'on pense d'abord aux antipodes l'un de l'autre mais qui -en fin de compte- sont si proches.
Un roman sensible comme sait si bien le faire Eric Holder.
Je le trouve cependant moins "à fleur de peau" que ceux déjà lus de l'auteur.
Un agréable moment de lecture néanmoins.

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 septembre 2020


"Punto e basta" 6 étoiles

« Ce fut peu avant la date anniversaire de ses soixante-deux ans que Taillandier prit la décision de se suicider. » Ca fait tout drôle de lire ces deux lignes en introduction d’un livre quand on vient, précisément, de fêter, soi-même, ce même anniversaire. On s’interroge, comment ce peintre célèbre qui, il est vrai, ne peint plus depuis sept ans, a-t-il pu avoir une telle idée ?

Certes, il souffre du cœur et il estime avoir atteint l’apogée de son art. Un suicide bien mis en scène pourrait donc être une sortie majestueuse, pleine de dignité, qui resterait à jamais dans la légende. Mais, comme toute histoire, celle-ci comporte sa part de hasard et le destin cette fois s’incarne dans la personne d’une fille paumée, comme « La fille tatouée » de JC Oates, que sa compagne prend, un jour, en stop.

La fille s’installe à la maison et, petit à petit, il s’intéresse à cette adolescente gauche et taciturne jusqu’au jour où elle s’enfuit subrepticement. Il loue alors, en cachette de sa femme, une voiture pour accomplir son suicide mais il rejoint la fille sur la route et commence alors un long voyage jusqu’à Coutance où la gamine veut revoir sa mère. Mais, une fois de plus, celle-ci la repousse et le peintre, ne voulant, ne pouvant, pas abandonner cette compagne malheureuse entreprend avec elle une sorte de « road movie » en terre bretonne, jusqu’en Pays nantais.

Au cours de cette grande vadrouille «une gamine qui n’avait pas de projets, (et) un homme qui n’en avait plus… » trouvent l’une sa personnalité et l’autre une nouvelle envie, raison peut-être, de vivre. Comme un moyen de donner du sens à une vie vide et sans intérêt pour lui et sans lendemain pour elle.

Ce petit roman minimaliste me rappelle l’atmosphère de ces fils « Nouvelle Vague » où la vie se mange au quotidien, sans réel souci du lendemain. Mais, il évoque surtout, pour moi, « La fille tatouée », le roman de JC Oates, avec son artiste riche et désabusé et sa jeune fille pas franchement belle mais réellement paumée. Dans ces deux huis clos qui rassemblent chacun deux protagonistes très différents, l’histoire n’évolue certes pas de la même manière mais on ne peut éviter de comparer ces ceux couples si improbables. Ce parallèle entre les deux romans pourrait être poussé un peu plus loin mais si Oates met l’accent sur la défaillance et la frustration sexuelle, Holder élude très chastement cette question pour laisser ses héros retrouver une certaine forme de pureté originelle qui pourrait être le moteur de leur raison de croire en un avenir possible pour chacun d’eux malgré la solitude pour l’une et la maladie pour l’autre.

Débézed - Besançon - 77 ans - 22 août 2009