L'envol du migrateur, trois microromans
de Ismail Kadare

critiqué par Jules, le 10 octobre 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Des horreurs de la dictature
Je suis toujours très impatient de découvrir un nouveau livre d'Ismaïl Kadaré. Celui-ci vient de sortir de presse, puisque son impression date du mois de septembre. Je me suis rué et bien m'en a pris !
Au lieu du mot « nouvelles », nous trouvons celui de « microromans ». Pourquoi pas ?.
Le livre débute par « Le Chevalier au faucon ». Nous sommes en 1939, l’Italie s'apprête à envahir l'Albanie et le comte Ciano, beau-fils du Duce survole les côtes en avion. Ce faisant, il découvre un endroit superbe et décide de s’y faire construire une somptueuse maison qui lui servira de « pavillon » de chasse. Il prend un architecte romain, gravement malade du foie, qui conçoit pour lui un bâtiment hors du commun. La première page nous parle de l'architecte, d'un tableau, « Le Chevalier au faucon » qui se trouve dans un musée scandinave, et d'un jeune albanais de dix sept ans. Un lien se tissera entre les trois. A son premier séjour dans cette maison, Ciano découvre que son architecte a vraiment conçut un ensemble des plus particuliers ! Il s'y sent comme envoûté
et l’ambiance dégagée par les lieux semble lourde, pleine de significations et de signaux. Nous suivrons l’histoire de la maison à travers le temps jusqu'à nos jours.
Dans le second microroman, Kadaré nous raconte l’histoire d'un jeune écrivain qui travaille à « L'Union des Ecrivains albanais» dont le siège est dans la capitale Tirana. L’immeuble est situé face à une petite maison dans laquelle habite probablement la dernière prostituée de la ville. Elle est jeune et très belle, sa démarche est sensuelle et dépourvue de toute vulgarité. Elle va envahir l'esprit de notre jeune homme au point que celui-ci finira par faire un amalgame inconscient entre l’ Union des Ecrivains et elle. Mais voilà que les temps changent, qu’Enver Hoxha change sa politique et coupe son pays de tout contact avec l'étranger. Une chape de plomb va tomber sur la culture et les écrivains en particulier. Enver Hoxha crée le principe de « la rotation » et ils seront tous envoyés dans des trous aux fins fonds du pays. Jamais notre jeune écrivain n’arrêtera de penser à la belle prostituée.
Pourtant le désespoir s'emparera bien souvent de lui et il se dit : « Pourquoi cette démence sans fin, pourquoi aussi cette niaise soumission, cet aveuglement ? Pas une voix pour dénoncer, pas un seul geste de courage, fût-il sans espoir ! »
« L’Envol du Migrateur » est le troisième microroman. Un homme marche en rue et est abordé par un casse-pieds notoire que tout le monde tente toujours d'éviter. Cette fois ci il n’y arrive pas et voilà que cet homme lui annonce que le poète Lasgush Poradeci vit une aventure amoureuse. Notre héros est fou de bonheur à l'annonce de cette nouvelle ! Lasgush Poradeci est un homme d'une autre génération, de celle, plus ancienne, qui n’a pas abandonné ses manières d'antan et ne se laisse pas étouffer par la tyrannie du pouvoir en place. Ils n'entendaient plus parler de lui depuis bien longtemps et les écrivains le prenaient pour mort. Alors que c'était lui qui les considérait comme des morts, car ils avaient abdiqué devant le dictateur. Notre homme n'aura de cesse que de retrouver Lasgush Poradeci et de l'entendre lui confirmer que c’est bien vrai, qu’il a bien vécu une aventure amoureuse. Celle-ci est comme un défi direct au tyran et, de plus, elle est vécue dans la ville d’eau où se rend Enver Hoxha en vacances. Cette histoire amoureuse est tout un symbole !
Le style de Kadaré est toujours aussi beau, mais ses récits gagnent peut-être encore un peu en subtilité de construction . Une fois de plus, il nous donne ici de très beaux textes dénonçant la dictature sous tous ses aspects.