Nouvelles africaines : La Madone noire
de Doris Lessing

critiqué par Tistou, le 4 février 2008
( - 68 ans)


La note:  étoiles
La madone noire
Dix-neuf nouvelles dans ce tome II des Nouvelles Africaines, dont celle de la madone noire. Mais situation éditoriale compliquée puisque dans d’autres éditions c’est le tome III des Nouvelles Africaines qui est intitulé « La madone noire » ! Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens !
Ces dix-neuf nouvelles ont été écrites dans la période « rhodésienne » de Doris Lessing. L’époque où le nouveau Zimbabwe était encore la Rhodésie, où l’apartheid était la règle et où la vie d’un noir ne valait pas grand chose.
Doris Lessing, on le sait, avait choisi son camp et peu l’avaient fait de manière aussi déterminée dès cette époque. Elle nous donne à voir de l’intérieur l’ignominie d’un tel système et certaines nouvelles rendent bien compte du désespoir et de l’absence de perspectives dans lequel le pouvoir blanc entretenait la population noire, notamment la dernière nouvelle ; « la faim », la plus longue de l’ouvrage dans laquelle le destin forcément tragique d’un jeune noir nous est conté dans son inéluctabilité.
Politique, revendicatif, certes mais littéraire aussi, et beau. Doris Lessing n’a pas mis son style dans sa poche ! La traduction (Marianne Véron) se fait complètement transparente. Les cas sont, dans l’ensemble, plutôt dramatiques. Comment pouvait-il en être autrement avec de tels régimes ?

« La route qui partait de l’arrière de la gare menait à la mission catholique, cul-de-sac au beau milieu d’une réserve indigène.Il s’agissait d’une mission fort pauvre, ne disposant que d’un seul camion, de sorte que la route était toujours déserte, simple piste de terre sableuse parmi les herbes hautes ou courtes. La gare elle-même était très animée, à cause des trains et des gens, et la bonne terre qui s’étendait par-devant était massivement occupée par les fermiers blancs, tandis que la terre située derrière la gare demeurait inemployée parce qu’elle se composait de boulders en granit, d’éboulements, de sable. Les troupeaux étiques de la réserve y venaient paître. Mais on n’y voyait aucun être humain. »
Une plongée dans l’Afrique du Sud, début XXème 8 étoiles

Doris Lessing a grandi en Afrique du Sud. Cette série de nouvelles nous entraine dans des territoires sauvages et splendides que les fermiers anglais tentent de cultiver et dont les prospecteurs retournent le sous-sol à la recherche d’or ; dans la société un peu monotone et conventionnelle des colons européens où les nouveaux-venus ont tant de mal à s’insérer ; au contact de la population noire, main d’œuvre peu coûteuse en voie d’acculturation.
Rarement gaies, parfois tragiques, ces nouvelles sont écrites dans une langue délicate, avec des personnages à la psychologie travaillée, aux réactions subtiles et complexes. On a notamment le bonheur d’éviter les clichés simplistes sur l’opposition entre pauvres noirs oppressés et méchants colonialistes blancs au profit d’une approche nuancée où le regard que chacun choisit de porter sur l’autre transforme les rapports. Les relations entre hommes et femmes, enfants et adultes, Afrikaners et Anglais sont explorées avec le même bonheur. Ce voyage dans un autre monde, un autre pays, à une autre époque est extraordinaire et ces nouvelles mériteraient d’être beaucoup plus connues ! Un voyage à faire par étapes, en lisant les nouvelles par petites séries pour éviter parfois la monotonie de cette vie de fermier sur le veld...

Romur - Viroflay - 51 ans - 15 août 2014