Portraits de la Renaissance
de Nathalie Mandel

critiqué par Jlc, le 6 janvier 2008
( - 81 ans)


La note:  étoiles
L'élan et la lumière
Ce livre frappe d’abord par ses dimensions peu communes mais le portrait par Raphaël qui en est la couverture les justifie déjà, avant d’entrer dans cette galerie de portraits reflétant tout à la fois des histoires individuelles et leur universalité qui en fait, cinq ou six siècles plus tard, des témoins d’une grande modernité.

Nathalie Mandel a choisi une cinquantaine de tableaux, plus somptueux les uns que les autres, pour illustrer son propos, en un texte simple et très explicatif : la naissance du portrait à la Renaissance n’est pas le fait du hasard mais le fruit de circonstances artistiques, historiques, sociales, scientifiques et techniques.

Elle montre bien le bouleversement qui se produit alors quand l’invention de la perspective traduit une nouvelle vision du monde, quand l’image perd sa représentation exclusivement religieuse pour conquérir sa propre identité et mettre l’individu au centre de l’Histoire, même si elle demeure encore, chez les Flamands du quinzième siècle, une image de dévotion, les premiers portraits ayant été ceux de commanditaires d’œuvres pieuses.

Elle raconte la conjonction des temps, celui de la montée en puissance de quelques grands mécènes, seigneurs ou bourgeois enrichis dont le portrait signe la réalité du pouvoir ou la réussite sociale ; mais aussi celle des peintres qui ne sont plus considérés comme des artisans et obtiennent le statut d’artistes - on dirait aujourd’hui d’intellectuels - que symbolise l’apparition des premiers autoportraits. Ce fait historique se conjugue avec l’invention de la peinture à l’huile qui va remplacer la « tempera » ou peinture à l’œuf, pour simplifier.

Elle explique comment on passe du portrait en buste et de profil qui permet de mettre en valeur la beauté d’un visage féminin à la manière d’une icône (cf. le portrait de Pollaiolo) au portrait de trois quart qui donne au visage sa force plastique (l’homme au turban rouge de Van Eyck) et annonce la structure tridimensionnelle du portrait moderne. Ainsi se crée pour la première fois une relation entre l’artiste, son modèle et le spectateur.

Elle décrit cet élan qui gagne l’Europe où Flamands et Italiens s’influencent mutuellement, les uns apportant « précision de la description, virtuosité d’exécution, sens de la lumière » quand les autres dissolvent les formes dans la couleur et suggèrent une certaine douceur. Ces grands artistes parviennent à exprimer une ressemblance qui est autant spirituelle que physique.

La préface du livre est empruntée au grand historien d’art, Elie Faure, pour qui « ces hommes invincibles qui, alors que tous les pouvoirs s’associaient pour leur barrer la route, ne reculèrent pas devant le tâche de découvrir des faits et des idées qui brisaient leurs équilibres d’âmes… et maintenaient en eux la nécessité d’un effort toujours tendu vers d’autres conquêtes. »

Enfin il y a la magie des images et il faut rendre hommage à l’éditeur, Assouline, pour la qualité de son travail. J’ai vraiment ressenti un choc en découvrant, pages 20 et 21, les portraits de Maria et Tomaso Portinari par Hans Memling. Et je ne jouerai au petit jeu stérile de regretter que tel ou tel portrait n’y soit pas au détriment de tel autre présent, même si j’aurais aimé y voir « Bella » de Palma Vecchio, ce magnifique regard amoureux. Mais que dire devant l’autoportrait de Dürer, le condottiere de Messina, la gitane de Boccaccino ou Baldassare Castiglione par Raphaël, l’homme au gant du Titien ? Que dire si ce n’est citer Marcel Proust « Les grands artistes n’ont jamais fait qu’une seule œuvre, ou plutôt n’ont jamais que réfracté, à travers des milieux divers, une même beauté qu’ils apportent au monde » ou Thomas Mann « Nous sommes beaucoup moins des individus que nous l’espérons ou le craignons. »

Un livre dont le prix est certes élevé mais qui est, à ma connaissance, une des plus grandes réussites dans l’édition artistique récente.