L'Univers, les dieux, les hommes : Récits grecs des origines
de Jean-Pierre Vernant

critiqué par Jlc, le 28 décembre 2007
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Fables de nourrice
Si vous voulez charmer une femme, racontez lui les histoires des déesses grecques dont la beauté et l’intelligence justifiaient leur immortalité et parlez lui, comme Vernant le fait si bien, de leur fragilité qui les rend si précieuses. Sui vous voulez séduire un homme, comparez le au valeureux Ulysse et montrez vous en Pénélope patiente et rusée, amoureuse fidèle. Si vous voulez faire plaisir à votre grand-père, offrez lui ce livre qui lui rappellera le temps de ses humanités, comme on disait autrefois. Si vous voulez endormir votre petit-fils, ou plutôt la faire rêver, choisissez un récit et il entrera dans un monde merveilleux qu’il croira longtemps être le votre, car le conteur est souvent plus essentiel que le héros et la façon de raconter plus importante que l’histoire elle-même.

Ce livre est né de la relation entre Julien qui, chaque soir de sa chambre, pendant les vacances, appelait « Jipé, Jipé, l’histoire, l’histoire » et son grand-père, Jean-Pierre Vernant, qui allait s’asseoir auprès de lui et lui racontait une légende grecque. C’est de ce rite, oral qu’est né ce livre, écrit et très bien écrit en ce qu’il restitue parfaitement cette tradition du récit qui est dit avant d’être écrit « sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d’une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel ».

Jean-Pierre Vernant, disparu il y a un an, fut un grand universitaire, professeur au Collège de France, qui consacra toute sa vie intellectuelle à connaître, comprendre, transmettre la mythologie grecque. Ce fut aussi un homme bien, grand résistant et probablement un délicieux grand-père.

« L’univers, les dieux, les hommes » n’est pas un livre savant ; c’est le livre d’un savant pour initier des profanes à la découverte d’un monde fabuleux. Limpidité du style, intelligence et art du conteur, choix des mots et du ton de la fable, saveur des rebondissements subtilement amenés, précisions et mise en perspective des faits sont quelques unes des qualités de ce petit livre. Vernant ne résume pas, il raconte. Il ne copie pas, il imagine. C’est tout à fait fascinant et c’est essentiel. Dans ce monde qui perd ses repères, il est des héritages indispensables –et les mythes grecs en font partie- qu’il appartient à ceux qui les possèdent de savoir les transmettre. C’est une très belle donation que nous fait ici cet érudit qui était aussi un homme de bien.

Il évoque les dieux, l’Olympe et les hommes et cette opposition entre l’immortalité et le destin des hommes qui suscite cette interrogation sur la mort et le choix constant entre la mort lamentable et la mort héroïque, déjà évoquée dans la critique d’un autre ouvrage de Vernant.
Il le fait avec à la fois la distance du scientifique, l’éthique de l’homme de réflexion et d’action –« Comme si, dans la mesure où un groupe humain refuse de reconnaître l’autre, de lui faire sa part, c’est ce groupe lui-même qui devenait monstrueusement autre » écrit-il sur le retour de Dionysos à Thèbes, retour qui se heurte à l’incompréhension d’où naîtra le drame- ou la sensibilité du poète – ainsi ce commentaire sur le goût des dieux pour les femmes qu’ils trouvent superbes : « Non que les déesses ne soient pas belles mais peut-être les dieux trouvent-ils chez les femmes mortelles quelque chose que les déesses ne possèdent pas. Peut-être est-ce la fragilité de la beauté ou le fait qu’elle ne sont pas immortelles et qu’il faut les cueillir quand elles sont dans l’acmé de leur jeunesse et de leur charme ».

Mieux qu’un livre culte, un livre mythe.