La Panne
de Friedrich Dürrenmatt

critiqué par Matthias1992, le 24 novembre 2007
( - 32 ans)


La note:  étoiles
Illusion et réalité
"Die Panne" réunit des alcooliques organisant des procès pour se divertir, des policiers échangeant des paroles insensées, un personnage qui meurt à cause d'un jeu, des dialogues absurdes et des scènes maintes fois réitérées (la distribution de vin par exemple).
Autant le dire immédiatement, la pièce n'a pas le souci de restituer la réalité telle qu'elle se présente. D'ailleurs, dans un passage qui évoque certaines oeuvres de Brecht, l'acteur Karl-Heinz Stroux, interprète de Wucht, un alcoolique âgé de 90 ans vient nous informer sur l'histoire et les différents personnages, et à la fois produire un effet de distanciation chez nous, lecteurs et spectateurs, par rapport à ce qui se passe dans la pièce.
Si la pièce n'est pas novatrice dans la mesure où elle nous fait penser aux oeuvres de Beckett, d'Ionesco et d'Adamov et de Brecht, il en émane quand même un parfum délibérément moderne et contemporain, cela est dû en partie au fait que le livre présente une déstructuration chronologique assez importante: il commence avec la fin de l'histoire - le trépas de Traps. Puis, avec l'intervention de Stroux alias Wucht, on fait une analepse, qui nous amène à l'arrivée de Traps chez Wucht. Il s'agit d'une structure rarement utilisée pour le théâtre, et c'est pour cela qu'elle s'avère très marquante.
Je ferais également la remarque que la pièce respecte presque parfaitement les règles du théâtre de l'absurde: des didascalies très longues (à l'égard des metteurs en scène), des bribes de conversations vaines, des personnages dont on ne connaît que peu de caractéristiques (Juliette par exemple) et des objets dont l'importance prépondérante est soulignée, sont présents.
Mais il y a quelques chose de plus dans "Die Panne" (la panne), à savoir le thème de l'illusion.
Un véritable jeu peut être remarqué entre la réalité et l'illusion, notamment lors de la scène du faux procès, qui mêle des faits réels et imaginaires. Malgré la distanciation à laquelle on nous invite, l'on est séduit par ce jeu et l'on arrive au point de ne plus pouvoir distinguer ce qui est du domaine de l'illusion et ce qui est du domaine de la réalité.
Une structure inventive, un jeu entre illusion et réalité, une distanciation savamment proposée, auxquels s'ajoutent un monde absurde séduisant et beaucoup d'ironie rendent le texte de Dürrenmatt pour le moins intéressant.
Qui est coupable? 9 étoiles

« Des histoires possibles y en a-t-il encore, des histoires possibles pour un écrivain ? », se demande le romancier et dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt (1921-1990) dans un bref chapitre introductif à ce court roman. En somme, y a-t-il moyen de proposer encore non pas une histoire totalement originale mais d’aborder le sujet, quel qu’il soit, sous un angle atypique. La réponse est oui, sans quoi on devrait cesser d’écrire des romans. Et pourquoi pas, comme l’ajoute un peu plus loin Dürrenmatt, en tenant compte d’une des réalités les plus prégnantes de notre modernité, nous qui sommes de plus en plus dépendants des machines ? Autrement dit, la panne ! Il faut préciser que ce roman fut écrit en 1956. Qu’écrirait donc son auteur s’il vivait encore aujourd’hui ?
L’histoire, qu’il propose, ne manque pas, quoi qu’il en soit, de singularité. Au cœur du récit se trouve un certain Alfredo Traps, charmant monsieur de quarante-cinq, ayant une place d’agent général dans l’industrie textile, dont la voiture, une Studebaker dont il est particulièrement fier, tombe malencontreusement en panne tandis qu’il s’apprêtait à rentrer à son domicile pour y retrouver femme et enfants. Or, la réparation de sa voiture ne pouvant s’effectuer avant le lendemain, le brave homme est contraint de trouver à s’héberger pour la nuit.
L’auberge affichant complet, Alfredo Traps tente sa chance en sonnant à la porte d’une villa qu’on lui a indiquée comme recevant volontiers des étrangers de passage. En effet, le vieillard qui lui ouvre la porte ne se fait pas prier : non seulement il est proposé à Alfredo Traps le gîte mais également le couvert. De plus, le dîner promet d’être copieux et bien arrosé, car il sera partagé avec deux autres hommes, deux vieillards eux aussi, déjà présents. Qu’à cela ne tienne ! Trop heureux d’avoir trouvé un abri, Alfredo Traps se résigne à devoir passer une soirée dont il présume qu’elle sera fort ennuyeuse.
Quelle n’est pas sa surprise, du coup, lorsque les trois messieurs lui offrent de passer la soirée non seulement en mangeant et buvant mais en jouant ! Tous trois, en effet, sont des retraités de la Justice, l’un en tant que juge, l’autre en tant qu’avocat et le troisième en tant que procureur. Or, leur plaisir, à ces messieurs, c’est de recréer un procès, c’est de jouer les rôles qu’ils ont tenu durant leur carrière professionnelle. Pour ce faire, ils n’ont besoin que d’un accusé dont, bien sûr, Traps se doit d’accepter d’endosser la charge.
En acceptant bien volontiers de jouer ce personnage, Alfredo Traps s’engage alors dans un processus inimaginable. Car, l’alcool aidant, et asticoté par les questions du juge et du procureur, il en vient à se raconter et même à se confesser : s’il a obtenu la place convoitée d’agent général dans l’industrie textile, c’est parce que son chef, celui qui tenait ce poste, est mort prématurément d’un infarctus. Or, ce décès, les accusateurs de Traps ont tôt fait de le trouver suspect. Celui-ci ne reconnaît-il pas avoir été l’amant de la femme de son chef aujourd’hui défunt ? Et n’a-t-il pas tout fait pour que, fatigué et malade comme il l’était, celui-ci soit emporté par un accident cardiaque avant l’heure ? Autrement dit, de fil en aiguille, ce qui, au départ, n’était qu’un jeu se transforme en véritable réquisitoire. En fin de compte, ne faut-il pas considérer Alfredo Traps comme coupable d’adultère mais aussi de meurtre ? Pris dans ce tourbillon inattendu qui le désarçonne, ce dernier lui-même, en dépit de la défense de son avocat, finit par se reconnaître coupable.
Cette histoire, impressionnante de concision, qui, par certains côtés, confine à une sorte d’absurde kafkaïen, n’en pose pas moins de réelles questions sur la culpabilité et la notion de justice. Ne sommes-nous pas tous coupables, d’une manière ou d’une d’autre, et, si nous devions participer, en tant qu’accusés, au jeu du procès dont il est question dans ce roman, ne finirions-nous pas tous, comme Traps, par nous reconnaître coupables ?
Ajoutons, pour finir, que ce roman de Dürrenmatt fut adapté, au théâtre, pour la scène, mais également au cinéma par Ettore Scola sous le titre La plus belle soirée de ma vie (1972) (un film que je n’ai jamais vu jusqu’à présent).

Poet75 - Paris - 68 ans - 12 mars 2021


chef d'oeuvre! 9 étoiles

La Studebaker d’Alfredo Traps, représentant en textiles, tombe en panne dans un village. Le dynamique quinquagénaire se voit contraint de dormir sur place. L’auberge est complète. Le voyageur trouve l’hospitalité chez un vieux juge retraité. Ce dernier le convie au dîner qu’il organise chaque soir avec trois amis, également anciens hommes de loi.
Ecrit en 1956, ce petit bijou de la littérature suisse est un chef d'oeuvre. L'humour noir est omniprésent et sert admirablement l'intrigue. Je me suis régalé du début à la fin.
A lire absolument!

Maxrun - - 45 ans - 14 mai 2009