La passion selon Juette
de Clara Dupont-Monod

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 7 novembre 2007
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
La vocation
Presqu’une biographie car basée sur un texte du Moyen-âge, le récit de Juette raconte une volonté d’indépendance hors du commun, considérant l’époque. Adolescente délicate, Juette a pour ami, Hugues, jeune moine de l’abbaye de Huy, un complice de sa foi. Le partage de la narration entre les deux protagonistes permet d’ailleurs de briser la monotonie du monologue de la future icône de pureté. Très tôt, elle se révoltera contre une Église trop axée sur le pouvoir et contre sa famille qui la coince dans un mariage à l’âge 14 ans.

De cette expérience, elle développe une haine de l’homme. Et même du bébé mâle né de cette union. La mort subite de son mari la libère. Elle s’engage alors à fond dans sa spiritualité jusqu’à ébranler la haute hiérarchie catholique, au grand émerveillement de son confident Hugues, disciple et témoin de la bravoure de cette féministe d’avant-garde totalement dévouée à son idéologie.

Le désir de créer avec Juette une figure emblématique est parfois agaçant. Les incertitudes de jeunesse rendent le personnage attachant. Plus tard, son endoctrinement est tellement inflexible que je n’ai pu m’empêcher de la voir comme une pauvre illuminée. Par contre, l’évocation de la période est solide et agrémentée par une écriture se mariant parfaitement au propos. Une plume forte, tranchante, presque revendicatrice.

Un joli roman historique sans l’envergure et la flamboyance d’une histoire comme celle de Jeanne d’Arc par exemple…
La révolte de Juette 8 étoiles

Juette est une adolescente rêveuse, ‘tête d’oiseau’ comme l’appelle son père, un peu à part, qui aime particulièrement les histoires, pleine de questions, notamment sur le diable et l’Eglise, mal-aimée par sa mère.
A la mort de son mari, la liberté se trouve enfin à sa portée, mais pour la gagner tout à fait, elle se détache tout d’abord de ses biens dont elle fait don aux lépreux et enfin du pouvoir des hommes en se faisant recluse dans une léproserie qu’elle organise avec d’autres béguines, « Le dévouement sans le serment. La religion sans clergé. Surtout la foi au service des autres ». Elle s’affranchit :
« Je m’appelle Juette, je n’ai plus d’âge. J’ai une revanche à prendre. » Et ses questions se transforment en révolte ouverte et elle cherche à démasquer le clergé trop opulent, versé dans les vices : « Les papes condamnent, les évêques exécutent, les fils éventrent et les pères abandonnent. Voilà, pour eux, ce qu’est la force. Voilà leur ignorance et leur faiblesse. » Elle finit même par avoir des visions et être considérée comme une sainte par le peuple, mais elle est jugée par l’Eglise pour hérésie et pour son attirance pour la ‘maladie cathare’. Elle ne sera pas condamnée, mais finira sa vie en recluse près de sa léproserie.
« La passion selon Juette » pourrait être comprise comme l’amitié très forte qui l’unit à un jeune chanoine, Hugues, qui tombe éperdument amoureux d’elle et qui pendant longtemps sera son seul soutien, le seul qui la comprenne, mais je pense qu’il s’agit plus du feu qui brûle en elle, sa recherche et puis son combat pour un monde pur et juste. C’est justement cette passion et le procès qui s’ensuit qui me font penser à une Jeanne d’Arc.
J’avais peur que ce livre n’écorche une fois de plus l’Eglise que j’aime, en la personne de ce religieux qui renierait sa foi, mais il n’en est rien. L’écriture est fine, sensible. Seule la haine de l’homme que développe Juette m’étonne dans son intensité.

Pascale Ew. - - 57 ans - 5 février 2008


l'éclairée iconoclaste 8 étoiles

Un beau roman sans aucun doute.
Une enfance rêveuse qui nous fait profiter de 20 premières pages délicieuses.
Le mariage malheureux et convenu comme un témoin de l'époque.
Et la renaissance avec la redécouverte de son tempérament passionné.
Cette belle âme pure est l'intérêt du livre, de même que la superbe relation avec son homologue masculin : Hugues.

A lire, doucement et subtilement pour profiter des douces émotions de ce livre, si rares de nos jours.

Crosp - - 47 ans - 18 novembre 2007


Juette de Huy 7 étoiles

Juette de Huy a réellement existé, elle a vécu à Huy au XIIe siècle. Mariée à treize ans, veuve à dix-huit ans avec trois enfants, sa vie a été relatée dans une historiographie due à un auteur anonyme. Une jeune femme bien connue en terre hutoise, mais également parmi les historiens médiévistes. Car Juette est le symbole d'une certaine révolution féminine, d'une prise de liberté qui cadre assez peu avec la vie de l'époque, le traitement des femmes au moyen Age et la suprématie masculine.
Juette a eu le courage de dire non, même si ce refus est avant tout passé par une réclusion extrême. La jeune femme a vécu murée dans une petite maison, une simple ouverture lui permettait d'être nourrie et d'assister aux offices religieux.

Séduite par le personnage, Clara Dupont-Monod s'en est librement inspirée pour raconter sa Juette à elle. Qui a deux et non trois enfants dans le récit mais vit le même parcours de liberté, possède le même sens de révolte et de volonté d'aider les autres, les femmes en particulier.
Connaissant bien l'histoire de la vraie Juette (quand je suis en Belgique, je vis dans cette région), j'ai ouvert le livre de Clara Dupont-Monod avec envie mais aussi une certaine forme d'appréhension. Je craignais la biographie lourde, le roman historique ennuyeux, l'énoncé de faits bruts. Rien de tout cela, il s'agit avant tout d'un roman, dont l'héroïne est un personnage qui a existé mais qui dispose ici d'une entière liberté de parole. L'auteur lui donne vie, son écriture agréable met le personnage en valeur sans en faire trop; elle raconte une histoire.
Un roman que j'ai apprécié, en toute subjectivité.
Quant à l'absence de l’envergure et la flamboyance d’une histoire comme celle de Jeanne d’Arc, certes, mais combien sont-elles, ces femmes au Moyen Age, qui n'ont pas eu l'écho médiatique de Jeanne mais en ont fait bien plus qu'elle...

Sahkti - Genève - 50 ans - 12 novembre 2007