Noir est l'arbre des souvenirs, bleu l'air
de Rosetta Loy

critiqué par Jlc, le 28 octobre 2007
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Des enfants perdus
« Noir est l’arbre des souvenirs, bleu l’air » : dans ce titre superbe, le noir et le bleu se juxtaposent avant de se mélanger comme dans un ciel avant et après l’orage. L’orage de ce roman, c’est la guerre. Elle commence en Italie en 1941 par les rodomontades de Mussolini pour s’achever par la pendaison du dictateur à l’étal d’un boucher. L’orage c’est un monde qui gronde en finissant avant qu’un arc-en-ciel n’annonce un temps nouveau.

1941 à Venise : une famille bourgeoise y passe ses vacances sans savoir que le tragique est au bout de l’été. Le père est distant, éloigné; la mère, par désœuvrement probablement, prend des amants; les enfants, Ludovico et ses deux sœurs, Lucia et Guilia, vivent dans le monde insouciant de l’enfance qui ne veut pas finir sous le contrôle flou d’un répétiteur. La guerre va tous les projeter dans un monde absurde dont aucun ne sortira indemne. Il est toujours trop tard quand on sait le paradis perdu.

Rosetta Loy nous raconte leur histoire en un récit qui n’est ni linéaire, ni chronologique. Cette construction très subjective est un des attraits de ce roman. L’auteur y mêle, avec talent, des destins personnels à des circonstances qui les dépassent : la guerre bien sûr, mais aussi l’après guerre, le marxisme, le relais des générations avec leurs désillusions, leurs contradictions et surtout « la fin des enthousiasmes les plus déraisonnables » où on ne rit plus « pour rien, juste pour le bonheur d’être ensemble ». Ces six personnages ne sont pas vraiment les acteurs de leur destin dans ce monde qui vacille avant de se perdre puis de se reconstruire. Certes, le père essaie de rebâtir son entreprise, le répétiteur ira combattre en Libye avant de se mettre, en 1943, au service des Anglais. Mais la mère dont « les grands yeux gris sont un lac éteint » ne veut pas voir disparaître son monde évanoui qu’elle va protéger dans son « appartement mausolée ». Les enfants, perdus dans un univers bousculé, désespéré où le fanatisme conduit à la folie, essaient de survivre comme ils peuvent.

C’est très subtilement écrit et certaines phrases sont tout à fait magnifiques comme cette description de Rome « qui se perd dans le gris violet de l’hiver comme un mirage », ou le retour de Lucia « quand le crépuscule avait déjà éteint le bleu de la journée et le rouge des coquelicots » avant que ne retombe le silence «devenu tout à coup un silence sans air. Sans lumière ni couleur. Un silence sans. » Rosetta Loy ne hausse jamais le ton, préférant souvent la confidence à l’emphase. Mais ce ton trop feutré est aussi une faiblesse.

Car ce livre me laisse un parfum de déception. Je n’ai jamais été totalement captivé par ces personnages, même celui des deux sœurs. Je n’ai pas bien compris le rôle attribué au répétiteur si ce n’est d’être le témoin de la guerre en Libye qui n’est pas la partie la plus forte du livre. Il manque une force, une violence pour raconter ses temps abominables et impossibles, force qu’on ne trouve que dans les vingt dernières pages, admirables, quand Loy plonge son récit dans l’horreur du massacre de Sant’Anna di Stazzema, l’Oradour italien. J’ai eu souvent l’impression d’un déjà lu (peut-être chez Carlo Cassola il y a une trentaine d’années bien que les milieux décrits soient différents mais l’époque est la même) ou d’un déjà vu dans les films de Rosselini, des frères Taviani, de Sica ou encore Visconti. La fin de l’histoire me rappelle la dernière scène de « Rocco et ses frères » quand Chiro, un des frères, parle au benjamin du futur qui sera meilleur avant d’embrasser sa petite amie, vision d’un bonheur intimiste encore possible, et de retourner à l’usine dans des images froides d’immeubles neufs mais impersonnels. Il y a aussi chez Loy ce mélange contradictoire d’espoir et de résignation.

Un roman qui m’a déçu et que pourtant j’aurais tant aimé avoir aimé. Mais bien sûr ce n’est que mon avis.