Le joueur de tango
de Christoph Hein

critiqué par Jlc, le 27 septembre 2007
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Dangereux tango de dérision
En parlant de « Prise de territoire », j’ai déjà dit ici tout le bien que je pense de cet écrivain allemand qui a vécu la plus grande partie de sa vie dans l’Allemagne communiste, refusant de la quitter et qui, comme personne, sait la décrire, la raconter, l’expliquer, l’aimer. Cette Allemagne qui, près de vingt ans après la chute du mur, reste différente, entre déception et espoir malgré tout.

« Le joueur de tango » est un de ses tout premiers romans et on y trouve déjà les particularités et les qualités qui exploseront dans ses grands livres que sont « Willenbrock » ou « Prise de territoire » : style minimaliste et volontairement plat pour coller au plus près de la réalité subjective de l’écrivain qui donne à chacune de ses histoires une tournure documentaire, sens du détail, roman daté et géographiquement précisément situé, empathie avec le personnage qui vit souvent un moment décisif de sa vie tout en continuant à agir à son habitude au milieu des choses ordinaires quand son environnement ne le rejette pas.

Peter Dallow est professeur d’histoire à l’université. En 1966 il a été arrêté et condamné à deux ans de prison pour avoir, presque par hasard, accompagné au piano un spectacle d’étudiants dans lequel un tango brocardait le régime communiste. En février 1968, il retrouve la liberté, enfin si on veut. Il retrouve surtout la solitude : sa femme est partie, ses amis se méfient ou le fuient moins par rejet que par couardise, ses parents ne se consolent pas de ce qu’ils ont vécu comme une humiliation ineffaçable. L'alcool est un mauvais compagnon. Seuls deux inconnus se collent à lui pour l’aider à trouver du travail mais ils les repoussent car ce sont vraisemblablement des nervis du régime. Cette solitude, Dallow la ressent aussi auprès des femmes dont il a tant besoin et qu’il recherche sans vouloir s’attacher, se lier. Il retrouve aussi le juge qui l’a condamné « au nom du peuple allemand » (mais enfin de quel droit ?) et l’avocat qui a fait office de défenseur, juge et avocat qu’il rencontre ensemble, signe de la connivence qui existait dans cette dictature qui se parait alors de ses oripeaux mensongers et mités de justice et de liberté. Dallow, isolé, arrogant, en vient à regretter le temps certain de la prison, celui où on n’a aucune décision à prendre. Rien ne semble l’intéresser et lui qui est un spécialiste de l’histoire tchèque ne pense rien et ne trouve rien à dire sur le printemps de Prague qui éclate comme un bourgeon de renouveau pour tous les pays du pacte de Varsovie. Quand on lui propose enfin de prendre un poste mineur à l’Université il refuse car « ce serait comme si je me crachais moi-même à la figure. » C’est le juge, homme de destin, qui va une fois encore orienter la vie de Dallow. Et puis le printemps de Prague se dissipa dans les éclairs et les tonnerres que l’on sait.

J’ai bien aimé ce roman car il est déroutant. Dallow a une conduite, une attitude qui surprennent et vont à l’encontre de toutes les idées reçues qu’on pourrait avoir sur un homme qui retrouve la liberté. Il y a quelques énigmes laissées au lecteur pour son interprétation personnelle, Troublante aussi est sa relation avec les femmes, ce besoin de sensualité qui exclut ou craint tout amour. Mais c’est Elke, une de ses partenaires, qui lui dira : « Les souvenirs sont ce qu’il y a de plus beau dans l’amour. ».
Ce livre est peut-être surtout l’histoire d’un homme qui n’arrive pas à faire la paix avec lui-même, qui est décalé depuis cette expérience de la prison, injuste et indélébile et qui vit dans un monde indifférent par peur ou lâcheté. Un roman sur la dictature de tous les jours et sur un homme qui en est à la fois le prisonnier politique et l’évadé humain.