Orages d'acier
de Ernst Jünger

critiqué par Ferragus, le 3 septembre 2001
(Strasbourg - 61 ans)


La note:  étoiles
L'ultime
Journaux de guerre d'un jeune allemand engagé volontaire pour la guerre de 14-18, Orages d'acier raconte de façon détachée, clinique et en même temps captivante, quatre années d'un conflit apocalyptique.
Ce récit nous est très familier car il narre sans héroïsme ni forfanterie, la vie au quotidien d'hommes embringués dans la plus gigantesque boucherie que le monde ait jamais produite. Leurs misères, leurs désirs, leurs angoisses sont nôtres, tout du moins nous le pensons.
Ce récit nous est totalement étranger car nous sentons bien que l'inconcevable, la folie guerrière transcendante dépasse l'entendement.
Pour Jünger, il le développa longuement plus tard, cette guerre fut le triomphe de la technique, d'une industrie lourde devenue autonome, comme maîtresse de ses créateurs, et qui imposa sa loi d'airain à de pauvres êtres de chair et de sang devenus jouets de la lutte des nouveaux Titans . Mais, plus que tout, la calme sérénité de Jünger, observateur neutre et en même temps acteur du maelström meurtrier, suscite la plus grande des fascinations comme si naissait devant soi une nouvelle race de surhomme. Il y'a là quelque chose d'inintelligible, une dimension métaphysique incarnée par un homme qui serait revenu de l'enfer.
Pour ceux qu'attirent les ultimes limites, là où les hommes ne sont plus tout à fait eux-mêmes, Orages d'acier reste un admirable ouvrage, école de l'impossible et de la folie raisonnée.
Carnet de bord d'un soldat allemand 8 étoiles

En janvier 1915, le jeune Ernst Jünger, à peine âgé de vingt ans, arrive sur le front quelque part dans la Champagne crayeuse non loin de la petite ville de Bazancourt. L’ambiance qu’il y découvre lui semble plutôt calme. Les temps de permission à l’arrière se passent en joyeuses beuveries parmi une population française amicale. Mais tout change soudainement quand il se retrouve du côté des Eparges. Là, c’est un véritable baptème du feu pour lui, un déluge de fer et de feu avec une hécatombe de soldats. Lui-même est blessé à la cuisse. Rétabli, il remonte sur le front à l’automne suivant du côté de Douchy, mais cette fois à titre de sous-officier. Il participe à la première bataille de la Somme où à nouveau il est blessé légèrement. Il s’illustrera ensuite à la bataille de Cambrai ainsi qu’à celle des Flandres. Il aura comme adversaire des Français, des Hindous, des Écossais et des Néo-Zélandais. Il sortira vivant et décoré de toutes ces années de guerre mais avec sept blessures dont certaines fort graves et rien moins qu’une vingtaine d’impacts dans le corps.
« Orages d’acier » est le témoignage au jour le jour d’un soldat allemand lambda qui monte les échelons, subit toutes les épreuves de cette terrible guerre, le froid, la boue, l’humidité, les rats, les gaz, les pilonnages d’artillerie, les combats à la grenade ou au corps à corps avec un courage et une abnégation remarquable. Son récit assez brut de décoffrage reste dans la lignée d' « À l'ouest rien de nouveau » d’Eric-Maria Remarque côté allemand ou des « Croix de bois » de Roland Dorgelès, voire du « Feu » d'Henri Barbusse côté français. Mais sans aucun romantisme ni pathos. Junger ne se plaint jamais. Il subit tout avec calme et constance. Il parle français, s’entend parfaitement avec les gens qui le logent et n’a pas le moindre mot haineux ou méprisant envers ses adversaires. Chevaleresque, il leur rend hommage pour leur courage et leur détermination quand certains sont ses prisonniers. Il est même très impressionné par la bravoure des Highlanders écossais. Son récit, qui n’est qu’une longue suite de combats, de descriptions de soldats blessés ou tués de toutes les manières possibles et imaginables, donne une idée de ce que nos anciens ont dû endurer des deux côtés de la ligne de front.

CC.RIDER - - 66 ans - 9 octobre 2020


Un p'tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston 6 étoiles

Ernst JÜNGER, jeune universitaire, n'a pas vingt ans quand il part, simple soldat, pour les tranchées du nord de la France. Il suivra une formation d'officier, puis prendra plusieurs commandements d'infanterie, toujours en première ligne. Il sera blessé quatorze fois et décoré de l'Ordre du Mérite. "Orage d'acier" est la transcription du journal qu'il tint durant cette guerre, de janvier 1915 à septembre 1918.
Le style du livre est d'une maîtrise parfaite, et la traduction est impeccable (Henri PLARD, Universitaire belge, félicité par l'auteur, qui parlait français couramment).
On trouve dans ce livre le même fond que dans "La peur" de Gabriel CHEVALLIER ou "Les croix de bois" de Roland DORGELÈS, les combats violents, les pluies d'obus, la mort, la putréfaction, l'ennui, la boue, les camarades, les poux, etc. JÜNGER n'épargne rien au lecteur, les morts laissés à l'abandon sur le champ de bataille, les cadavres décomposés dans lesquels on s'enfonce en traversant les terres-sans-hommes, la boue fétide des tranchées, le staccato des mitrailleuses, les crânes de camarades qui explosent sous la mitraille des shrapnells, etc. Tim WILLOCKS peut toujours se rhabiller avec les descriptions de batailles dans son roman "La Religion".
Mais contrairement à CHEVALLIER ou DORGELÈS chez qui l'humanité, la peur, la compassion, sont omniprésentes, JÜNGER prend une grande distance, et son récit paraît froid, chirurgical. L'auteur prend dans sa description des combats et des champs de bataille le même recul qu'un médecin-légiste devant les odeurs de putréfaction ou les affres des morts violentes. Pourtant, il n'est pas inhumain, aimant ses hommes, aimé d'eux, admiratif du courage et des exploits de l'ennemi, inquiet pour la population civile restée dans les villages voisins des combats, etc. Mais son ton purement descriptif, loin de toute émotivité, laisse le lecteur en proie d'un malaise d'une profonde tristesse.
Étonnamment, le récit s'achève fin septembre 1918, sans aucun commentaire sur l'issue de la guerre.
Cent ans après ces événements, ce témoignage, tout comme ceux de CHEVALLIER, DORGELÈS, REMARQUE, CELINE, etc. est de très grandes valeurs historique et littéraire.

Homo.Libris - Paris - 58 ans - 22 décembre 2015


La terrible loterie de la guerre 6 étoiles

Un livre terrifiant sur la guerre de tranchée et sa mécanique implacable. Ernst Jünger y est un officier au courage remarquable et d'une obéissance à (quasi) toute épreuve. Malgré quelques traits d'humour, les enchaînements de bombardements, de morts, de blessés, de manœuvres sur le front et de déplacements de troupes sont un peu rébarbatifs. Ce qui n'enlève rien à l'admirable héroïsme de l'auteur.

Elko - Niort - 48 ans - 21 février 2013


La guerre, ultime épreuve. 10 étoiles

“La guerre est mère de toutes choses“, extrait de la préface de la première édition Payot 1930. Je pense à Drieu qui développe cette théorie de l’épreuve absolue dans “Gilles“, sauf que lui n’a jamais tiré un coup de feu.

Il vaut mieux avoir essuyé le feu pour camper sur une position aussi incorrecte. Et on peut dire que Jünger maîtrise son sujet : 4 ans de combat, devient chef d’un détachement d’assaut, est blessé 14 fois. Lieutenant d’infanterie, il reçoit l’Ordre pour le Mérite, la plus haute distinction de l’armée allemande.

“Orages d’acier“, rédigé d’après son carnet de route, est son premier livre, d’un éclat (sans jeu de mot) et d’une sérénité saisissante dans le laminoir. Ne peux surpasser les commentaires éclairés du petit peloton, forum compris, regroupé autour de ce livre majeur. Très belle écriture, modestie, aucune emphase. Orainvile, Bazancourt, Hattonchatel, Les Eparges, Douchy, Guillemont, il y a une poésie très France profonde et rurale dans ses titres de chapitres.

Remarque et Malaparte viennent aussitôt à l’esprit, ne pas oublier le jeune lieutenant de panzer Von Kageneck dans sa “Guerre à l’est“.

Jünger est mort à 103 ans, à 100 ans il donnait des interviews avec une rare lucidité et un esprit toujours acéré.

Il avait la tête d’une sculpture d’Arno Brecker.

5 étoiles sans aucune hésitation.

Ciceron - Toulouse - 76 ans - 14 janvier 2008


Un point de vue intéressant 10 étoiles

Interéssant parce que, à part "A l'Ouest Rien de Nouveau", d'Erich Maria Remarque, nous avons peu de récits de cette guerre atroce venant du côté allemand. C'était vraiment une des guerres les plus horribles que celle de 14/18 ! Des hommes, la peur au ventre, terrés comme des rats pendant quatre années dans la boue !... Ils avaient à subir les assauts ennemis, subir les bombardements, les gaz moutardes (qui se sont rappelés à notre mémoire à Toulouse !) et à donner l'assaut eux-mêmes pour reconquérir, au prix de combien de vies, quelques centaines de mètres de terres parsemées de cadavres et de charognes... Je crois que c'est le général Nivelles qui a perdu presque 200.000 Français pour reconquérir une colline !... Céline nous a raconté l'horreur dans "Le Voyage au bout de la nuit", Tardi en a fait de même avec plusieurs BD des plus réalistes, Dorgelès l'avait fait avec "Les Croix de Bois".
Bravo pour cette critique sur un des drames majeurs du vingtième siècle. Le film "La Chambre des Officiers", qui sort maintenant, nous en donnera encore un autre éclairage...Et nous n'avons rien, à ma connaissance, sur cette guerre vue du côté des Russes. Pour les Italiens, nous avons "L'Adieu aux Armes" d'Hemingway et quelques autres ouvrages comme "Kaput" de Malaparte.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 1 octobre 2001