Dormir accompagné
de António Lobo Antunes

critiqué par Jules, le 2 septembre 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Drôle, bien écrit, plein de charme
Voici le second volume des « Chroniques » écrites par l'auteur. Celles-ci sont pleines de charme et bien souvent assez surprenantes.
J'insisterai d’abord sur le style de l’écriture utilisée par Antonio Lobo Antunes. Il est vraiment très particulier ! Il ne tient que relativement compte de la ponctuation et les phrases et les idées sont fréquemment coupées, comme pourrait le faire quelqu'un qui parle et qui suit une nouvelle pensée en plein milieu d’une autre, puis qui revient à son idée de départ. C’est un peu difficile à suivre au début, mais on s’y habitue très vite.
Ce type d'écriture donne beaucoup de spontanéité au discours et d'autant plus de vérité lorsque l'histoire est censée être racontée par un enfant.
Il m’est aussi arrivé de me dire que j’étais dans un texte de Prévert, avec de longues phrases sans points et une narration qui joue sur les mots et qui cède davantage à une suite d'idées « flashs » plutôt qu’à une vraie logique. Il y a beaucoup d'humour dans ces textes et il vient surtout de la façon dont les choses sont racontées.
Les faits narrés se limitent bien souvent à trois ou quatre pages, sont fréquemment de petits évènements de la vie, sans grande importance dans l'absolu, mais qui remontent du passé de l’auteur. Il peut s’agir d'odeurs, de lumières, de chagrins, de révoltes, de hontes, d'amours, d'attachements, d'amitiés, de peurs.
Il aborde même parfois la politique, la troisième guerre mondiale ou celle d'Angola, mais de quelle façon !…
Ce livre est un vrai régal et j'épinglerais des textes comme « Le grand amour de ma vie », tellement il est drôle, « Ne meurs pas maintenant on nous regarde », tellement c'est énorme !…, « Des chevaux, des Rois, des curés et la tante Pureté », « La veille du jour où je suis mort étranglé ». Mais il y en a beaucoup d’autres !.
Goûtez ce petit extrait : « Du berceau je suis passé dans la chambre des servantes qui, à l'instar des saintes, n'avaient que leur prénom, comme pour s'affranchir de la pesanteur terrestre d’un nom de famille…. La seule différence résidait dans le fait que, au lieu d'habiter sur les calendriers à spirales en lettres minuscules sous le jour de l’année, elles servaient en tablier et coiffe, les effluves d’encens remplacés par du savon bleu et blanc et par l'odeur d'oignons frits.»
Lisez ce livre, c’est celui d’un grand écrivain et d'un homme sensible, maniant à merveille les sentiments, l'humour et l'autodérision.
Un jeu de marelle dans l'écriture 8 étoiles

« On passe un bon moment à grignoter ces petites pépites » dit Stavroguine.
Je m'y reconnais.
Comme pour lui c'était mon premier Lobo-Antunes (déconseillé quelque peu par Tistou que je remercie grâce à mon esprit tordu).

Lobo-Antunes c'est délicieux de tendresse, c'est piquant de justesse émotionnelle, c'est frais comme une limonade d'été, c'est un jeu de marelle dans l'écriture, c'est du vitriol quand on ne s'y attend pas, c'est de l'évidence psychologique, de l'à-propos et de l'humour.

Lobo-Antunes, dans ce livre, c'est un photographe de l'écriture. Clic clac. Quelques pages bien senties, un oeil pour regarder, le bon. La photo est là. Un goût de Prévert suggère Jules. Je le suis.

« (…) et sur la table de chevet se trouvait un sucrier destiné à saupoudrer la tétine à seule fin de calmer le monstre exerçant ses poumons des mois durant. Je m'étonne qu'aucun de nous ne soit devenu ténor, et quand j'assiste à un opéra, je lutte pour ne pas monter sur la scène avec une tétine et un sucrier afin d'apaiser ces braillards tout aussi potelés, tout aussi chauves, tout aussi empourprés par l'effort(...) »

Les histoires, elles sont souvent familiales, autour du couple, elles se passent aussi dans son hier, dans ses souvenirs, dans la pauvreté, dans la douleur quelquefois, mais pas trop. Elles sentent la vérité de la vie, des gens simples. Elles sentent aussi beaucoup l'enfance, un peu les regrets de l'enfance perdue :
«  (...)j'étais éternel, à quel moment, mon Dieu, ai-je cessé d'être éternel, moi qui le fus tant d'années. »

En fait elles sentent la vie tout court.

Il me faudra aller voir si les odeurs sont les mêmes dans ses autres livres.

Garance62 - - 61 ans - 26 juin 2010


Livre de chroniques II 6 étoiles

40 petites nouvelles ou chroniques dans lesquelles Antonio Lobo Antunes fait passer de petits messages plutôt qu’il n’essaie de raconter des histoires. Le tout dans un style particulier, pas forcément le même que dans ses fictions – au moins pas ainsi, qui ne me semble pas apporter grand-chose à ce qu’il veut exprimer ?
Par exemple, sorti de la nouvelle « Ma première rencontre avec mon épouse » :

« …, d’ailleurs pour être franc le journal ne m’a remis qu’une seule réponse, et c’était la vôtre, j’ai même demandé à l’employée quand elle m’a donné votre lettre
- Il n’y en a pas d’autres ?
et l’employée de me toiser
- Dites-vous bien que vous avez de la chance car si une photo avait accompagné votre annonce il n’y en aurait eu aucune
pourtant je m’habille décemment, je ne suis pas difforme hormis ce petit problème au pied, j’ai fixé l’employée sans comprendre et elle très remontée
- Vous vous êtes déjà regardé dans un miroir ?
Et quand bien même elle aurait raison je ne m’attendais pas à ce que vous soyez comme ça … »
L’impression générale est curieuse. Manque de souffle, d’espace. Comme une vision un peu étriquée, poussiéreuse … Le recueil de nouvelles est quand même un exercice assez fréquent chez les auteurs et on trouve couramment, me semble-t-il, plus ouvert, plus passionnant. Il y a de la naïveté à faire comme si certains petits faits ou micro-évènements constituaient un évènement intéressant ou surprenant. Ce pourrait être le cas. Hélas, ni très intéressant ni réellement surprenant ici, de la manière dont Antonio Lobo Antunes les traite ! En fait c’est peut-être à son style que je suis allergique ? C’est possible !

Tistou - - 67 ans - 16 avril 2010


... Et en bonne compagnie 8 étoiles

Ce petit recueil de nouvelles m'a été offert par une amie. C'était mon premier Lobo Antunes et, par la même occasion, mon introduction à littérature portugaise. Et je dois dire que je lui en suis très reconnaissant, d'autant que le format se prêtait merveilleusement bien à mes disponibilités actuelles (en cours de rédaction d'un mémoire, j'ai dû sérieusement réduire mon rythme de lecture et c'est vrai que piocher une nouvelle de quatre pages juste avant de se coucher était un vrai petit régal). Car, oui, elles sont savoureuses ces nouvelles. Surtout celles évoquant des souvenirs d'enfance. Comme le note Jules, le style de Lobo Antunes apporte une fraîcheur, une naïveté à ces good old days - à ce titre, il faut lire absolument "Des chevaux, des rois, des curés et la tante Pureté": si je ne devais en retenir qu'une, ça serait celle-là.

Le style, parlons-en. A la première lecture de la première nouvelle, il nous perd un peu. Ces phrases sans ponctuations, coupées, on perd un peu le fil. Et puis - très rapidement - on s'y fait et la magie opère instantanément. Ca nous rend l'action à la fois plus réelle et plus intime : parfois, comme au cinéma, on peut suivre les gestes accomplis par le narrateur en même temps qu'il nous parle ; d'autres, on rentre dans la conscience du personnage en étant directement confrontés à ce qu'évoquent en lui les pensées qu'il nous rapporte, à ce qu'il a senti, ce qu'il a entendu.

Quant aux thèmes, la plupart sont de simples scènes de vie, de couple (l'auteur s'amusant d'ailleurs souvent à prendre le rôle de la femme) ou des évocations de souvenirs d'enfance. Il y est pas mal question d'adultère, de vieillesse, de Salazar... Au bout d'un moment, on perçoit peut-être une légère redondance dans les thèmes abordés et la façon de les traiter - surtout après qu'on s'est habitué au style de l'auteur et qu'il nous surprend donc moins. Mais quoiqu'il en soit, on passe un bon moment à grignoter ces petites pépites. Et, encore une fois, ça sera parfait comme coupe-faim littéraire si, comme moi en ce moment, vous ne pouvez pas vous permettre de vous immerger dans un roman.

Stavroguine - Paris - 40 ans - 26 juillet 2008