Histoire de Mayta
de Mario Vargas Llosa

critiqué par Tistou, le 27 août 2007
( - 68 ans)


La note:  étoiles
La réalité et la perception.
Le Pérou. Encore, toujours. Lima. Une situation sociale et économique des plus précaires. Qui génère de la violence, une opposition politique (qui dégénéra en terrorisme), de la souffrance. Les maux du Pérou, de l’Amérique latine.
Mayta fut un jeune homme tourmenté par l’injustice de classe et qui se tourna vers le trotskisme. Après des galères au sein d’un groupuscule sans espoir, il passa à un ersatz de lutte armée, une ébauche de révolution, vite réprimée.
Ce pourrait être le résumé du roman. Ce n’est que la trame de ce que connait le journalite qui fut condisciple de Mayta et qui, vingt cinq après, cherche à reconstituer la trajectoire de Mayta et des évènements de Jauja.
On assiste donc conjointement à l’enquête dudit journaliste, et en même temps, au sein des mêmes chapitres, à des éléments de la véritable saga de Mayta. Mario Vargas Llosa, fidèle en cela à son style, mêle allègrement passé, présent, interlocuteurs, …
L’enquête progresse au fil des rencontres du journaliste avec tous ceux qui ont cotoyé Mayta, et l’image évolue, chatoie, selon l’éclairage et la sensibilité de l’interlocuteur.
Par cercles concentriques, on progresse vers la vérité … La vérité ?
Mais y a-t-il une vérité ? Y a-t-il eu un seul Mayta ?
Le grand art de Mario Vargas Llosa consiste à ne trancher jamais, à hésiter toujours, comme la phalène qui se brûle les ailes de lampadaire en lampadaire. Fragilité du témoignage, partialité et parti-pris de l’enquêteur, que de difficultés pour apurer une existence et n’en retenir que la substantifique moelle. Ou plutôt pour se rendre compte qu’il n’y en a pas, de substantifique moelle.
On finira par le rencontrer Mayta. Pas où l’on s’y attendait, pas tel qu’on nous le présentait. Un être humain. Dans sa fragilité.
Du grand art d’enquête de la part de Mario Vargas Llosa. Ou peut être de l’inanité à vouloir découvrir LA vérité d’un individu.
Et tout ceci dans un langage clair, sans ambiguité, qui donne l’impression d’avoir été facile à traduire.
A la recherche d'un idéaliste trotskiste 8 étoiles

Les inégalités sociales au Pérou désolent le narrateur qui finit par se souvenir avec nostalgie d'un idéaliste trotskiste, un intellectuel engagé qui s'est engagé pour tenter d'améliorer le bien-être de ses congénères. Les recherches s'avèrent chaotiques, constituent une occasion de se pencher sur le sujet de prédilection de la personne recherchée, au prix de heurts, de malheurs, d'échanges, de témoignages, le tout s'inscrivant dans un climat et des circonstances relativement rocambolesques.
L'auteur nous replonge en effet, comme souvent, dans les entrailles sociales de son pays, entre révolte, émotion et ironie. Ce roman permet de mieux le connaître, avec ses douleurs, ses difficultés et ses espoirs. Il en apprend, tout en retrouvant le monde habituellement dépeint par l'écrivain.

Veneziano - Paris - 47 ans - 18 mai 2018


Pas évident 9 étoiles

Après avoir lu Le paradis - un peu plus loin du même auteur que j'ai adoré, j'ai choisi de continuer par Histoire de Mayta.

Au début du livre, on a du mal à s'accrocher, notamment avec les changements passé-présent et l'alternance des récits (celui de Mayta et du narrateur) au cours d'un même dialogue ou d'une même description. Mais dès qu'on commence à cerner le procédé, la lecture devient alors un vrai plaisir. L'écriture de Mario Vargas Llosa est toujours très belle, fluide, avec des descriptions jamais lassantes ni lourdes; son prix Nobel est mérité.

Le procédé est très intéressant : le narrateur est un journaliste reconverti en romancier qui enquête sur un de ses anciens condisciples ( enfin non... mais cela on ne le découvre qu'à la fin ) auprès des gens qui l'ont côtoyé. On se fait petit à petit alors l'image du révolutionnaire en manque d'action et qui va tout faire pour saisir l'opportunité lorsqu'il rencontre un jeune militaire révolutionnaire, en même temps que lorsque le journaliste interroge les anciens membres du parti de Mayta ceux-ci revoient ça comme une simple crise d'acné. Le journaliste a du mal à discerner le vrai du faux dans ce que lui disent les anciens compagnons de Mayta et on voit là toute les différences de perception que des hommes peuvent avoir envers un autre.

En somme, un très beau roman qui peut paraître légèrement lourd au début mais qui, une fois pris dedans, se révèle.

OC- - - 28 ans - 4 mars 2011


Le commentaire de Patryck Froissart 10 étoiles

Titre : Histoire de Mayta
Auteur : Mario Vargas Llosa
Editeur : Gallimard - 1986
Titre original : Historia de Mayta
Traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan
Collection Folio
ISBN 2070314111
482 pages

Le narrateur, journaliste écrivain, se faisant passer pour un de ses anciens condisciples, enquête sur la vie du Péruvien Mayta, qui, dans sa jeunesse, fut, dans le Pérou des années 50/60 parcouru, comme tous les pays d’Amérique Latine, par des mouvements sporadiques, réprimés férocement, de revendication prolétarienne et paysanne, un agitateur local, membre d’un groupuscule d’intellectuels trotskistes.

Le procédé romanesque, original, dessine peu à peu, par ce que lui racontent, souvent avec des points de vue contradictoires, les personnages qui ont connu Mayta, le portrait d’un héros à la fois pitoyable et admirable de naïveté, d’idéalisme et de foi révolutionnaire, qui rate toutes les actions qu’il entreprend et finit par passer une partie de sa vie en prison pour avoir participé à deux attaques de banques en vue d’alimenter les caisses d’autres groupes combattants. Bien que l’argent volé ainsi ait été détourné par ses complices, Mayta, par conviction, ne veut pas le savoir, et refuse de les dénoncer, ce qui lui vaut d’être condamné lourdement.

Les éléments recueillis par le narrateur se croisent, se superposent, affinent ou déforment la figure de Mayta, et retracent, en toile de fond, le passé mouvementé du pays, tandis que le narrateur évolue lui-même dans un présent tragique qu’il rapporte, en journaliste, à la fois en tant que témoin direct et au travers des commentaires et de la situation des personnages rencontrés.
Le récit se nourrit des luttes d’influence entre staliniens, léninistes et trotskistes, des échos de la grande aventure révolutionnaire de Che Guevara et des frères Castro, et de la confiance en l’aide éventuelle de l’Internationale Socialiste et des partis communistes.

On doute, par moments, de la réalité de Mayta, et le narrateur entretient le flou, alterne, souvent de façon déconcertante, les récits décalés des protagonistes, le récit direct, classique, qui met Mayta en scène au moment de son action, ce qu’il voit du Pérou au temps de sa quête, un métacommentaire subjectif à propos du héros et de ses actes, tout en ajoutant par-ci, par-là, des traits de sa propre invention d’écrivant, prêtant à Mayta, par exemple, des relations homosexuelles avec l’un des membres du groupe.

Le roman est ainsi composé de manière très ingénieuse, multivoque, et invite le lecteur à démêler les fils de la trame afin de se faire sa propre représentation de Mayta.

Le lecteur qui a eu vingt ans à la fin des années 60 retrouvera en l’histoire de Mayta tous les espoirs, les aspirations, la pureté, les rêves, les utopies, et les désillusions de sa jeunesse.

Patryck Froissart, Boucan Canot, le 6 novembre 2007

FROISSART - St Paul - 77 ans - 6 novembre 2007